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« à pied, depuis Venise, si c’est la coutume et si c’est praticable, mais sinon, le plus dévotement qu’il se puisse faire. » Cette fois, pas de doute. La prudence, l’habitude indifférente ne peuvent plus ici s’alléguer. S’il pratiquait la religion de sa nourrice, il la pratiquait comme sa nourrice, de la même foi. Descartes ne fit pas le pèlerinage : il racheta sans doute son vœu. Mais il l’avait fait. C’est un rayon de lumière qui nous éclaire un moment l’énigme de ce caractère.

Ainsi le père du rationalisme moderne ne confond pas Rome et Genève, va à la messe, fait un vœu à la Sainte Vierge, croit aux songes, et se mêle, peut-être s’affilie aux Rose-Croix. Ce philosophe dévot et mystique n’étonnera que les gens qui se figurent un philosophe rationaliste sur le type d’une figure de géométrie ou d’une équation algébrique. Les rationalistes sont des hommes, des composés de chair et d’esprit, des tempéraments, des hérédités, des êtres qui sentent, qui souffrent, qui aiment, et qui ont mérité le nom de rationalistes parce qu’à travers toutes les secousses et les sollicitations de l’instinct, de la sensibilité et de l’imagination, ils ont essayé obstinément de préserver la liberté de leur raison et de bien appliquer quelques règles de méthode. Le rationalisme n’est pas une doctrine où il n’entre que du rationnel (y en eut-il jamais une ?), mais une doctrine où l’on tâche de bonne foi de faire entrer le plus de rationnel qu’on peut. Ce n’est pas un absolu fixe : c’est une tendance et un progrès.

Tel fut Descartes : un homme. Du fond mystérieux de l’activité physiologique inconsciente, montaient incessamment des suggestions et des représentations plus ou moins troubles ou obscures, qui, dans la lumière de la conscience, étaient ramenées par la raison au cours ordinaire de sa pensée. Il acceptait les phénomènes irrationnels qui lui étaient donnés en lui-même, il ne pouvait les nier ; et il s’en servait pour s’encourager à penser rationnellement. Le rationalisme triomphait encore dans cet usage du mysticisme.

Enfin, M. Gustave Cohen nous a offert un document psychologique sur Descartes, et un document précieux : le portrait de Franz Hals. Je ne parle pas de la toile bien connue du Louvre, mais d’une autre qui est à Copenhague, et que M. Cohen est le premier à faire connaître chez nous. Une figure ravagée, la perruque négligée, la bouche amère, des yeux lumineux et