Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/580

Cette page a été validée par deux contributeurs.

assez pour Corneille et pour Stendhal : le plus modeste érudit a besoin d’autre chose.

Quelque complaisance que j’apporte à éplucher les textes, à donner de l’accent aux expressions, à lire entre les lignes, je ne trouve entre l’intelligente Allemande et notre Descartes qu’une parfaite communion dans le goût des idées et de la vérité, de l’estime réciproque, enfin de l’amitié ; une vraie, solide, virile amitié ; mais une amitié tout court.

Si la princesse parle à Descartes de sa santé et de ses affaires, si Descartes répond avec simplicité, disant ses observations, ses expériences, et mené par cette voie jusqu’à des confidences qui n’appartiennent plus au commerce d’idées, loin de prouver l’amour, cet abandon de tous les deux me paraît l’exclure. Le beau propos d’amoureuse, de confesser un beau jour qu’elle croit avoir la gale ! Diagnostic erroné d’ailleurs. N’oublions pas que le philosophe, — sans diplôme, — se croit un médecin, et est tenu au secret professionnel.

Tous les deux sont loin de leur pays, exilés ; l’une par la violence, l’autre par sa volonté. Ils n’ont guère d’amis à qui se fier. Chacun est avec l’autre en sécurité parfaite : est-il étonnant qu’ils s’ouvrent parfois ? Le besoin de se confier est un besoin humain, même chez un philosophe. Pour conclure, encore ici, aux couleurs de rose je préfère des teintes plus sérieuses, feuille-morte, si vous voulez.

Plus d’un lecteur hésitera sans doute à s’imaginer un Descartes mystique. Pourtant il le faut. Descartes fréquente les Rose-Croix ; il est lié avec plusieurs d’entre eux, Wassenaer, Van Hogelande. Il a des songes auxquels il donne des sens symboliques, et dont il reçoit des encouragements pour la direction de sa pensée.

Une nuit, il en eut trois de suite, qu’il crut venir d’en haut. Il se vit marchant dans les rues, emporté par un tourbillon qui le faisait pirouetter sur le pied gauche, et le jetait dans la cour d’un collège où une personne lui dit d’aller trouver M. N. qui lui remettrait quelque chose. Ce lui parut être un melon, signifiant « les charmes de la solitude. » Le second songe lui fit entendre un coup de tonnerre aigu à la suite duquel sa chambre fut remplie d’étincelles. Dans le troisième, il vit, sur sa table, un livre qui était un dictionnaire, et un autre livre qui était un Corpus poetarum latinorum, où un homme inconnu lui faisait