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son temps à le faire étriver. A tout bout de champ, il lui disait : « Voyons, Tit’homme, voyons ! Tu sais bien que tu n’es qu’une petite fille. » Bébé se fâchait tout rouge. C’est effrayant comme ça le choquait. (Dans son livre, M. Hémon l’appelle « Marie-Rose »). Ça ne les empêchait pas d’être bien amis tous les deux. Tous les dimanches, en revenant de la grand’messe, M. Hémon lui faisait le même tour. En débarquant de la « planche, » il criait à « Tit’homme » : « Dis donc, la petite ! veux-tu du sucre ? » — « Bien sûr ! » Ils allaient alors ensemble à la brimbale du puits ; M. Hémon prononçait là quelques paroles magiques dans une langue que je ne connais pas. Ça rimait sur « Taquini-Taquino, le chocolat sortira ! » M. Hémon disait à Tit’homme : « Tire sur la corde,… » et le chocolat sortait de la manche de M. Hémon. Je n’ai pas besoin de vous dire que ça faisait le bonheur de Tit’homme. Tout le reste de la semaine, le petit passait son temps à tirer sur la corde du puits, mais le chocolat ne venait pas tout seul. »

« Un dimanche, j’étais toute seule à la maison avec M. Hémon. Il composait sur la table de la cuisine. Voilà-t-iî pas que je me mets la tête à la porte, et j’aperçois les animaux en train de sauter dans le grain. « M. Hémon, » que je lui dis, « les animaux vont sauter dans le grain. Ils vont tout abîmer… Est-ce que vous ne pourriez pas les envoyer ? » — Et lui de me répondre sans s’exciter : « Madame, laissez-les faire, j’écris ! » Ça y était ; ils étaient dedans. Je le fais assavoir à M. Hémon, et il me répond, toujours bien tranquille : « Oh ! madame, si ce n’était pas cela, ce serait autre chose. »

« Cette douce philosophie, ce fatalisme bonhomme et résigné, fait la joie de cette brave Mme Bédard. « Un jour, dit-elle, nous arrachions les souches sur notre terre d’Honfleur. On suait à mourir. M. Hémon, accoté sur un tronc d’arbre, nous regardait faire sans grouiller. Il avait deux pouces enfoncés dans les ouvertures de sa veste, il était bien à son aise, je vous en donne ma parole ! Je m’approche de lui. Comme il ne travaillait pas depuis une bonne secousse, je lui demande en riant :

« M. Hémon, est-ce que ça serait-il fête légale aujourd’hui ? » — « C’est bien mieux que cela ! » qu’il me répond. — « Est-ce que ça serait-il votre fête ? » que je lui redemande. — « Mais oui, madame, » qu’il me dit, « et comme personne ne me fête, eh bien ! alors, moi je me fête ! » Je vous assure que ce n’était pas