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retrouvera un jour son corps glacé au pied d’un arbre. Alors, après du temps, Maria Chapdelaine, sentant bien qu’elle n’aimera plus personne comme François Paradis, et qu’il faut cependant qu’elle « s’établisse, » est tentée par la ville, par tout ce que raconte, des villes américaines, un de ses soupirants, Lorenzo Surprenant, qui, pour la voir, elle seule, gagne la frontière des « States, » et fait trois jours de voyage. Cette campagne du Nord de Québec est trop dure, trop cruelle aussi ! Mais avant que Maria ait donné sa réponse, des voix s’élèvent dans son cœur, et elles sont victorieuses : Maria la Canadienne demeurera dans les bois du lac Saint-Jean, à l’avant-garde des semeurs de blé, et, comme la mère Chapdelaine, elle « fera son règne » de femme, modeste et magnifique.

D’où vient cette émotion, qui saisit le lecteur aux premières pages du livre, et l’y attache comme à un être vivant, et demeure dans le souvenir, si bien qu’on ne peut plus entendre le nom de Maria Chapdelaine, sans qu’un sourire attendri, une compassion, une admiration profonde, un peu d’amour, en somme, s’éveille en nous ? De la perfection d’art et de vérité par quoi le cœur d’un homme est tout de suite gagné. L’imagination n’émeut pas, elle intéresse ; la complication d’une intrigue amuse et tombe dans l’oubli ; la dissertation fatigue ; le procédé littéraire, la pauvre habileté industrielle trompe bien peu de monde : seule, la vérité qui a touché une âme en peut toucher une autre. Voyez avec quelle sûreté un Louis Hémon a discerné, parmi les incidents de la vie rurale dans le Haut Canada, ceux qui la font nouvelle et curieuse pour nous, mais surtout les traits profonds par quoi ces paysans des forêts saguenayennes se raccordent à l’humanité, et plus particulièrement à la race française ! Comme il évite la description longue, comme il la fragmente et la mêle au récit, aux dialogues, aux lignes qui annoncent le changement des saisons ! Il a parcouru toute la contrée du lac Saint-Jean : il ne peint que Péribonka ; il ne cède pas à la tentation de raconter ses voyages en traîneau sur le lac, ou ses chasses dans la forêt, ou ses rencontres dans les auberges de Roberval ou de Chicoutimi. Le père, la mère, la jeune fille fiancée, puis malheureuse, puis résignée, ces portraits éternels demeurent l’objet principal et toujours présent. Tout y ramène.

Cette unité n’est pas même un instant voilée par un