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d’eau qui lui appartenait, auprès de laquelle la mer, à Hastings, n’était qu’un bassin malpropre et sans charme. » Ces lignes sont assez révélatrices de la manière directe, simple et aisée qui sera celle de Hémon.

Il écrit comme il nage : mais cela suppose beaucoup d’étude et d’apprentissage. Le poète apparaît un peu plus loin. Les deux jeunes gens se baignent dans l’étang. L’Anglais avait bu trois verres de brandy. Il s’avança, à brasses prudentes, vers la partie la plus resserrée, la plus profonde aussi, une sorte de canal où il y avait une source, et se tint presque immobile, inquiet, la figure penchée vers la surface de l’eau, comme s’il cherchait à voir quelque chose d’attendu et de dangereux, parmi les herbes dont les longues lanières ondoyaient au-dessous de lui. « Je le regardais encore quand il nagea lentement vers moi,… et me demanda, dans un chuchotement effaré : « Il n’y a rien, hein ? » J’allais lui répondre, avec douceur, qu’il n’y avait rien du tout, et que nous ferions peut-être bien de nous habiller, lorsque je sentis les couches profondes de l’étang remuées par une mystérieuse poussée. Les longues herbes du fond s’ouvrirent brusquement, comme écartées par le passage d’un corps, et mon hôte se retourna, par un brusque coup de reins, et, poussant une sorte de gémissement, fila vers l’autre bout de la mare, s’allongeant dans l’eau comme une bête pourchassée. Son affolement devait être contagieux, car je le suivis aussitôt avec la même hâte ; mais j’avais conservé assez de sang-froid pour observer qu’il nageait le trudgeon… » Le lendemain, Louis Hémon quittait le nageur halluciné. Un mois plus tard, en parcourant un journal, il apprenait que M. Silver, de Sherborne (Devon), avait été trouvé mort sur la berge de l’étang. « La mort était attribuée à un accident cardiaque. Ma version à moi était légèrement différente… »

En ce temps-là, les journaux organisaient déjà des concours de nouvelles. Les prix étaient modestes. Pour sa seconde nouvelle, la Foire aux vérités, Louis Hémon obtint un prix de 500 francs et l’honneur de la publication dans le Journal. Il avait signé du pseudonyme : Wilful-Missing. Histoire anglaise, comme la Peur, mais d’un autre ton. La description, par quoi elle débute, d’une cour et des échoppes en bordure, derrière les maisons de Brick-Lane, est extrêmement poussée. Un savetier juif habite là, avec sa fille Léah, qui meurt d’une maladie