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comme une esquisse sans doute, mais d’un trait pur, et déjà touchante, à l’admirable plainte de Blondel appréhendé par les soldats :

Ayez pitié de ma misère !
Les Sarrazins furieux,
De la lumière des cieux
Ont privé mes pauvres yeux.

Le second acte est charmant d’un bout à l’autre. Il commence par un chœur bien construit, solidement établi sur la simple et saine tonalité d’ut majeur. Puis vient la scène, agréable entre toutes, du triple déshabillage féminin. Ici plus que jamais, en trois airs qui se succèdent, l’alternance des deux modes est heureuse, la grâce de l’un venant toujours à propos tempérer la malice de l’autre. En dépit de leur condition et de leur langage, on finirait par trouver aux trois baigneuses une vague ressemblance avec les naïades de Gluck. C’est à peine si la mélodie de leur chant a moins d’élégance, de souplesse, et trace de moins sinueux contours. La Marie Bada, cela va sans dire, est toujours la plus enjouée des trois commères. C’est la meneuse du jeu. La voilà dans l’eau. « Zou, zou, zou, que c’est bon ! Vrai de vrai, Odile et Tonton, vrai de vrai, je me fais l’effet d’un poisson. » Elle s’ébat, elle s’ébroue, elle rit, elle glousse de joie, et la musique de rire avec elle. Autour d’elle, sur elle, les notes jaillissent et rejaillissent en gouttes sonores. Tout ici, le chant et l’accompagnement, qui l’imitent et se répondent, respire le plaisir, le bien-être, un bien-être physique, et cet allégement que l’eau procure au corps. « Tout corps plongé dans l’eau… etc. » Oui, cette musique même démontre à sa façon le principe d’Archimède, Aucune monotonie en ces trois airs. Chacun a son style propre. Chacun décrit, « pose » un personnage. Et c’est encore un caractère de ce petit opéra, qu’il est la représentation musicale, non pas sans doute, ainsi que Falstaff ou le Matrimonio segreto, d’une famille, mais d’un groupe, et, comme disent les gens du peuple, ceux-là justement qu’il nous montre, d’une « société. »

Maintenant, d’un cabinet de bains à l’autre, le dialogue s’engage. Aux trois aimables baigneuses répond l’amoureux baigneur. On imagine le décor, la mise en scène, et l’on comprend que dans le salon d’un chanoine, la pièce, — dont il était pourtant l’un des auteurs, — ait été jouée seulement et non représentée. « Excusez-moi, » chante le jeune et regardant caporal :

Excusez-moi si je m’amuse
A lorgner par le trou d’la buse,