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j’aye veu, excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours de voix qui donnent envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrester avec attention pour l’entendre. » Le nombre de ces voix, les dimanches ordinaires, était d’une trentaine environ. Un orchestre de quarante ou quarante-cinq instruments les accompagnait. Les jours de grande fête, on doublait toutes les parties, et l’on y ajoutait encore trompettes, timbales et grosse caisse. Ainsi composée, la « chapelle » de Saint-Lambert eut successivement pour directeurs, au cours du XVIIIe siècle, trois musiciens liégeois de la même famille : Henri-Guillaume, Jean-Noël et Henri Hamal. Le premier (1685-1752), compositeur de mérite et remarquable chanteur, introduisit à Liège la musique d’Italie. Pour Saint-Lambert et pour les collégiales de la ville, il forma tout un répertoire de motets à grand orchestre. Il improvisait, dit-on, avec une étonnante facilité des cantates italiennes, françaises ou wallonnes, qu’il aimait à chanter en s’accompagnant de son violoncelle. Il avait aussi le sens et le goût du comique. Rien ne l’amusait tant que de mettre en musique des textes singuliers, voire saugrenus, formés parfois de mots sans suite et sans lien.

Le fils d’Henri-Guillaume, Jean-Noël, naquit à Liège en 1709. Élève, puis successeur de son père, il devait le faire oublier. Plus jeune de trente-deux ans que Grétry, son futur et célèbre concitoyen, beaucoup moins grand musicien que l’auteur du Tableau parlant et de Richard, il est bien davantage un musicien national et même local. Comme Grétry, vers sa vingtième année, et plus tard une fois encore, il visita l’Italie. A Rome il connut Jomelli, Durante à Naples ; mais, ce double voyage excepté, c’est à sa ville natale qu’il se consacra tout entier. Elle était plus fière de lui que lui-même. Si nous en croyons ses contemporains, il prenait peu de soin de sa gloire et n’éditait même pas ses ouvrages. Du moins il en dirigeait et corrigeait l’exécution avec une certaine vivacité. Un jour qu’il conduisait l’orchestre et les chœurs de la cathédrale devant le Prince-Évêque et toute la cour, le désordre s’étant mis dans l’ensemble, Hamal interrompit et frappa du pied la mesure en s’écriant : « Voss biess, voss biess. Bêtes, vous n’êtes que des bêtes. » Mais pour la modestie, sinon pour la patience, la gazette citée plus haut le comparait à ce La Fontaine « qui méconnut ses talents et qui, pour nous servir de l’expression de Fontenelle, se croyait, par bêtise, inférieur à Phèdre. » On n’est pas moins surpris, ajoute le gazetier, « de retrouver dans