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malheureusement impossible de résumer ici les pénétrants articles de M. Parodi sur la composition du Poema sacro. Il suffit d’en indiquer brièvement les résultats et ce que le regretté professeur Mussaffia n’avait pas craint d’appeler une véritable découverte. M. Parodi fait ressortir, entre l’Enfer et le Purgatoire, une nuance considérable, presque une révolution dans les conceptions politiques de Dante. Dans l’Enfer, l’auteur est encore le Guelfe modéré, qui regarde l’Église comme l’aboutissement de l’histoire et l’Empire des Césars comme la préparation de l’institution divine. Dans le Purgatoire, au contraire, l’Empire apparaît, à côté de l’Église, comme une création également actuelle, également nécessaire : ce sont les deux Soleils qui montrent, l’un les voies du monde, l’autre les voies du ciel. En même temps, le caractère prophétique se précise : le vague symbole du Veltro, de l’énigmatique lévrier qui doit chasser les vices de la terre et mettre en fuite la louve, devient quelque chose de beaucoup plus positif sous ses formes encore sibyllines ; c’est le mystérieux DVX dont le visage, comme sous un heaume, se dissimule sous un chiffre, qui apparaît comme une date et comme une menace. C’est l’étonnante apocalypse des derniers chants du Purgatoire, la vision du char fracassé que doit relever un inconnu dont oh ne nous dit pas le nom, mais dont l’attente soulève le poète d’un immense mouvement d’espoir. Il est clair qu’entre les deux premières parties du poème, il s’est passé un événement qui a bouleversé de fond en comble les convictions de Dante : c’est l’avènement de cet Henri VII, qui fait partager au poète toutes les espérances du parti gibelin.

Pour la première fois depuis des siècles, on voyait un Empereur qui voulait être empereur. Il allait descendre en Italie et se faire couronner à Rome. Dans le chaos du monde, dans cette Europe sans tête, où la Papauté émigrait, abdiquait la Ville Éternelle, « se prostituait » aux bords du Rhône, où seul grandissait le pouvoir monstrueux du Roi de France, ce jeune homme, ce jeune dieu allait refaire l’ordre. Ces idées se formulent en système dans le De Monarchia. A mesure que le salut approche, l’enthousiasme du poète grandit, sa confiance s’exalte, éclate en apostrophes grandioses contre les ennemis qui l’ont proscrit, et finit par tourner, dans la fameuse lettre aux Florentins, en accents frénétiques de haine furibonde. Ainsi la politique de Dante se complète, à mesure que se développent les événements contemporains ; son poème reflète les passions successives qui agitèrent son cœur ; chacune des parties répond à une période de sa vie. Si l’Enfer trahit la douleur, les rancunes, la bile des premières