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Nous les avons laissés monter impudemment une formidable machine, une pièce à grand spectacle, un colossal « mélo » qui, tôt ou tard, devait trouver son public, comme il a trouvé son affiche, ses metteurs en scène, ses comparses et ses premiers rôles. La Honte Noire ! Beau titre, ma foi, rocambolesque à souhait et évocateur de ces scènes à la Fantômas, où l’ombre d’un gorille se profile diaboliquement sur d’effroyables décors d’oubliettes. À nous autres Français, ce « numéro » paraissait franchement burlesque. Mais, par ailleurs, il faisait recette. Tel quel, il indisposait les neutres et inquiétait les Alliés. Même leur pitié s’éveillait pour les prétendues victimes de notre « sadisme, » quand un Morel ou une Miss Beveridge, zélées recrues du Barnum pangermain, se chargeaient de sa réclame. Devant le succès croissant de cette exécrable campagne, l’opinion française finit par s’émouvoir. C’est que de sérieux avertissements lui venaient de toutes parts, particulièrement d’Amérique, où les meetings succédaient aux attaques de presse, comme aux pires jours de l’agitation locale contre l’entrée en guerre des Etats-Unis. « Prenons-y garde, déclarait le général Nivelle, à son retour de mission. Comme tout ce que font les Allemands, cette propagande est méthodique. Elle tient compte de la psychologie des Américains qu’elle connaît parfaitement. »

Déjà, les écailles nous étaient tombées des yeux. Le danger n’était-il pas devenu indéniable vers l’époque où M. Harding se préparait à remplacer M. Wilson ; où l’on parlait, à mi-voix d’abord, puis ouvertement, du retrait immédiat des troupes américaines de Rhénanie ; où l’on voulait nous faire croire que le nouveau président de la grande démocratie allait désavouer solennellement notre politique ; où la renommée germanique, par ses mille trompettes, recommençait à fanfaronner, à nous défier, à nous menacer ?

Heureusement, il nous restait là-bas, de l’autre côté de l’Océan, d’excellents amis, les meilleurs qui soient, ces braves compagnons d’armes dont nous pouvons dire à notre honneur que nous leur gardons une reconnaissance infinie. Et, ici