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âme qui vive, quand un jet de lumière, en travers du trottoir, nous montra la silhouette d’un tirailleur arrêté devant une de ces vitrines où scintille tout le clinquant des bijouteries de pacotille. Survinrent deux jeunes Allemandes, deux fillettes d’une quinzaine d’années, qui s’arrêtèrent aussi, peut-être pour admirer quelque joyau, peut-être dans une pensée moins innocente, avec leur tranquille audace de vierges du Rhin. L’homme s’y méprit-il ? Ou bien l’image toujours présente à son esprit de quelque fille du soleil exorcisa-t-elle le charme de ces précoces Lorelei ? Sagement, il s’éloigna…

Quiconque a séjourne en pays occupé, dans ces jolies villes rhénanes garnisonnées par nos troupes africaines, ne serait pas en peine de rapporter telle ou telle anecdote du même genre. Et les témoignages surabondent qui prouvent que, si les mœurs n’y sont pas irréprochables, notre prétendu « sadisme » n’y est pour rien. C’est à lui pourtant que la propagande allemande impute tout le mal. Ne fallait-il pas une excuse, une raison plus ou moins plausible à sa furieuse campagne contre nos auxiliaires indigènes ?

Campagne absurde ! C’est bientôt dit. L’Allemand n’a sans doute pas le sens de la mesure. Il a le don de l’observation. Ses méthodes politiques et diplomatiques procèdent d’un machiavélisme un peu lourd. Elles n’en sont pas moins efficaces. Au lieu de les dénigrer, nous ferions mieux de les déjouer avant qu’elles n’aient produit trop de ravages. Talleyrand a dicté leur politique aux gouvernants du Reich. Or, pour diviser les Alliés, était-ce si mal raisonner que de spéculer sur le préjugé des races, tel qu’il persiste un peu partout et notamment en Amérique ? Le prodigieux succès de la Case de l’Oncle Tom et l’heureux épilogue de la guerre de Sécession n’ont pas suffi à réhabiliter les fils de Cham dans la patrie de Lincoln. La propagande allemande comprit d’emblée tout le parti qu’elle pouvait tirer de cette négrophobie transatlantique. Un bon cheval de bataille s’offrait à elle. Elle l’enfourcha résolument, avec un plan en poche.

Ce plan était simple et génial : jeter l’opprobre sur nos méthodes d’occupation, afin de nous aliéner les sympathies américaines et d’obtenir le retrait du petit corps confié au général Allen. Cela fait, les auteurs du scénario eussent eu beau jeu. Tant qu’il y aura un Yank ici, — j’écris ces lignes