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Dante, ni Shakspeare. Longtemps fixé à Londres, il est un de ceux qui ont fait passer un souffle européen sur l’Italie trop classique. Il n’était pas neutre ; il avait des sympathies et des antipathies vigoureuses, qu’il manifestait le plus souvent qu’il pouvait, violemment. Il détestait Goldoni, qu’en toute occasion il poursuivit de sa haine. Il adorait, au contraire, Métastase, qu’il tenait pour le plus grand des écrivains passés, présents, et futurs. Rien ne l’arrête quand il fait son éloge ; il part, il s’anime, les idées se pressent, le mouvement de son style s’accélère ; il est ingénieux, il est éloquent, il nous conquiert bon gré mal gré.

…Dante reçut de la nature une manière de penser profonde ; Pétrarque, une manière de penser agréable ; Boiardo et l’Arioste, une manière de penser pleine d’ampleur et d’imagination : mais aucun d’eux n’eut une pensée aussi claire et aussi précise que Métastase ; aucun d’eux n’est parvenu en son genre au point de perfection que Métastase atteignit dans le sien. Dante, et Pétrarque, et Boiardo, et l’Arioste, et le Tasse, ont laissé quelque possibilité à d’autres bons esprits de copier quelquefois leur manière, ou de remplir quelque lacune par eux laissée, ou insuffisamment remplie ; quelques hommes de talent, prenant pour objet d’émulation qui l’un, qui l’autre de ces poètes, ont eu parfois la chance d’écrire quelques vers qu’ils n’auraient peut-être pas rougi d’avouer. Frezzi, par exemple, dans son Quadriregio, a quelques tercets qui sont du Dante tout craché. Beaucoup de sonnets et de canzoni de Bembo, et d’autres, se rapprochent fort des sonnets et des canzoni de Pétrarque. Boiardo a trouvé un Agostini qui a imité de fort près son style, encore qu’il soit resté très loin de sa belle imagination créatrice. Nous avons beaucoup d’octaves, et de beaucoup d’auteurs, qui, par le tour des phrases et l’éclat des rimes, rappellent d’abord l’Arioste ; et nous en avons plus encore de majestueuses et d’harmonieuses, qui auraient presque trompé le Tasse lui-même. Mais encore qu’une foule de gens aient fait de grands efforts pour saisir la manière de Métastase, pas un seul n’a pu s’approcher de lui, fût-ce d’un million de lieues. En sorte que Métastase, parmi nos poètes, est le seul qui mérite littéralement le rare qualificatif d’inimitable.

Dans la lettre que Bombet junior écrivit pour couvrir de ridicule l’infortuné Carpani, le ton ne laisse pas d’être, par endroits, agressif et insolent. Carpani, écrivait ce frère si dévoué à la cause de son cadet, revendique la paternité des Haydine : oserait-il revendiquer aussi « l’excellente digression littéraire