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Ceux-là continueront obstinément à reconnaître le plus pur esprit stendhalien dans des pensées de Robertson, ou du docteur Johnson, ou de vingt autres ; ils continueront même à admirer l’extrême nouveauté de la théorie des milieux appliquée aux arts ou aux lettres ; quand même on leur montrerait à l’évidence qu’elle se trouve chez tous les bons auteurs du XVIIIe siècle, à commencer par l’abbé Dubos, ils ne se déjugeront pas. Ajoutons ceux qui n’ont pas pratiqué leur auteur de très près, mais qui se hâtent de l’admirer tandis qu’il est à la mode. Il y a enfin les derviches de Stendhal. Pour eux, la valeur absolue de son texte intangible est une vérité sacrée. Le dogme s’est réfugié là. Leur façon d’être fidèles à celui qui, toute sa vie, s’est vanté de penser librement sur toutes matières, est d’interdire l’examen critique. Si on prétend découvrir dans les livres de la loi stendhalienne quelques interpolations, on devient hérétique et blasphémateur. Comment oser parler, dès lors, de plagiats ? Que Chateaubriand ait arrêté son voyage en Amérique aux environs du Niagara, et qu’il ait suppléé à l’insuffisance de son information personnelle par une multitude d’emprunts à différents auteurs, voilà qui est plaisant. Qu’en Orient, il ait pris à peine le temps de regarder les grandes lignes du paysage ; et que cette fois encore, il ait raconté ce qu’avaient vu les yeux d’autrui, on s’en doutait bien, la chose était sûre, c’est un procédé habituel chez lui. Si quelque jour on démontre qu’il a composé de même les aventures du dernier Abencérage, il y aura pour la critique une heure de joie toute pure. On a le droit d’examiner ses ouvrages, de les comparer à leurs sources, de les juger. Mais comment appliquer cette méthode à Stendhal, sans injustice ? Hugo, Vigny, ou Musset, oui ; Stendhal, non. Que si, par une exception singulière et à peine avouable, il y a néanmoins et malgré tout quelques traces de Carpani dans les Vies de Haydn, Mozart et Métastase, rappelons-nous qu’il a signé son ouvrage Louis-César-Alexandre Bombel ; chacun sait qu’un vol commis sous un pseudonyme n’est pas un vol ; il n’y a vol que quand on affiche son vrai nom. Au reste, on se demande pourquoi ce Carpani s’est plaint ; il fallait qu’il eût bien mauvais caractère ; Stendhal lui a fait, en le pillant, beaucoup d’honneur. Chacun sait, ici encore, que les écrivains ne désirent qu’une chose : c’est qu’un plus grand qu’eux leur dérobe leur prose, sans le dire.

Mais voici qu’au hasard de leurs lectures, des lettrés sont