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seulement quelques passages, quelques mesures, dès que le morceau volé commence à se faire entendre, il s’élève de tous côtés des bravos auxquels est joint le nom du véritable propriétaire. Si c’est Piccini qui a pillé Sacchini, on lui criera sans rémission : Bravo, Sacchini ! Si l’on reconnaît, pendant son opéra, qu’il ait pris un peu de tout le monde, on criera fort bien : Bravo, Galuppi ! bravo, Traetta ! Bravo, Guglielmi !… De même, nous croyons entendre quantité de petites voix grêles et chevrotantes, qui se joignent à la voix vigoureuse de Carpani : et c’est un étrange concert. Encore ne les connaissons-nous pas toutes ; M. Paul Arbelet est sur le point de nous donner, après son étude, une édition de l’Histoire de la Peinture : la liste des plagiats s’est encore allongée. Pour un éditeur consciencieux, le plus troublant est qu’on n’est jamais sûr qu’elle soit tout à fait close ; on craint toujours de laisser derrière soi quelque bon plagiat oublié. Que restera-t-il de l’ouvrage, à ce compte ? Un petit nombre de pages précieuses, où apparaîtra l’autre Stendhal, celui qui ne copiait pas ; des digressions, dont quelques-unes ont leur charme ; un style capable de transformer parfois en or une matière généralement lourde et terne. Mais bien peu d’idées originales demeureront à l’avoir de Stendhal, quand tout le compte sera dressé. Dès maintenant les conclusions sont nettes ; le plus grand mérite de l’Histoire de la Peinture réside dans la virtuosité de l’emprunteur. « Ne méprisons donc pas les plagiais de Stendhal. Il faut savoir reconnaître toutes les supériorités. Le brigandage a ses hommes de génie, infiniment curieux à étudier. Stendhal se révèle dans l’Histoire de la Peinture comme un type tout à fait intéressant de pirate littéraire. » Ainsi parle M. Paul Arbelet.

Il faut être très courageux pour oser s’exprimer de la sorte sur le compte de Stendhal ; car ce curieux homme offre le privilège unique dans notre littérature d’avoir non seulement des partisans, mais des sectateurs ; et malheur à qui touche au dieu ! La troupe des initiés est nombreuse et passionnée. Elle comprend de très fins esprits, qu’il amuse, qu’il séduit, et qui, par reconnaissance, lui ont voué cette admiration exclusive, cette tendresse jalouse, qui sont la marque du véritable amour. Elle comprend les gens qui aiment leurs habitudes. On leur a dit que Stendhal était original, et l’affaire est entendue pour la vie ; on ne revient pas sur de telles affirmations ; vouloir apporter des nuances dans cette originalité même, c’est trop demander.