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SUR L’ESPACE ET LE TEMPS SELON EINSTEIN.

Et maintenant voici la question. Quand le wagon-lit, que je suppose fait, d’ailleurs, d’un acier indéformable, passera à toute vitesse devant moi, aura-t-il pour moi exactement la même longueur apparente que lorsqu’il était au repos ? Autrement dit, à l’instant où je verrai son extrémité avant coïncider en passant avec le piquet bleu que j’ai fait planter, verrai-je son extrémité arrière coïncider en même temps avec le piquet rouge ? À cette question Galilée, Newton et tous les tenants de la science classique auraient répondu oui. Et pourtant la réponse est non : les faits, arbitres souverains de toutes nos controverses, vont nous le prouver.

Je suis, rappelons-le, placé au bord de la voie, à égale distance des deux piquets. Lorsque l’extrémité antérieure du wagon coïncide avec le piquet bleu, elle envoie vers mon œil un certain rayon lumineux (que j’appelle pour simplifier rayon-avant) qui coïncide avec le rayon que m’envoie le piquet bleu. Ce rayon-avant atteint mon œil en même temps qu’un certain rayon venu de l’extrémité arrière du wagon (et que j’appelle pour simplifier rayon-arrière). Le rayon-arrière coïncide-t-il avec le rayon que m’envoie le piquet rouge ? Évidemment non : en effet le rayon-avant s’éloigne de l’extrémité avant du wagon avec la même vitesse que le rayon-arrière de l’extrémité arrière (comme le constaterait un voyageur qui, dans le wagon, ferait sur ces rayons l’expérience de Michelson). Mais l’extrémité avant du wagon s’éloigne de mon œil tandis que l’extrémité arrière s’en approche. Par conséquent le rayon-avant se propage vers mon œil plus lentement que le rayon-arrière, sans que je puisse d’ailleurs m’en apercevoir, puisque à leur arrivée je trouve la même vitesse aux deux rayons. Par conséquent, le rayon-arrière qui arrive à mon œil en même temps que ledit rayon-avant, a dû quitter l’extrémité arrière du wagon plus tard que le rayon-avant n’a quitté son extrémité avant. Donc lorsque je vois le bord antérieur du wagon coïncider avec le piquet bleu, je vois simultanément le bord arrière du wagon qui a déjà dépassé depuis un certain temps le piquet rouge. Donc la longueur du wagon lancé à toute vitesse, et telle qu’elle m’apparaît, est plus petite que la distance des deux piquets, laquelle marquait la longueur du wagon au repos.

J’ose espérer qu’avec un peu d’attention, tout le monde comprendra cette démonstration dont la simplicité élémentaire n’a point été obtenue sans peine.