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SUR L’ESPACE ET LE TEMPS SELON EINSTEIN.

rigidement sur un plateau, un peu semblable aux tourniquets numérotés des loteries foraines. Supposons qu’on puisse faire tourner à volonté, sans choc et sans le déformer, ce plateau, ce qui est aisé si on le fait flotter sur un bain de mercure. J’observe à la loupe les franges d’interférences immobiles qui définissent la différence des trajets parcourus par mes rayons lumineux Nord-Sud et Est-Ouest. Puis, sans perdre de l’œil ces franges, je fais tourner mon plateau d’un quart de cercle ; cette rotation fait que les miroirs qui étaient Est-Ouest deviennent Nord-Sud et réciproquement. Le double trajet parcouru par le rayon lumineux Nord-Sud est devenu Est-Ouest, s’est donc soudain allongé ; au contraire, le double trajet du rayon Est-Ouest est devenu Nord-Sud, s’est donc soudain raccourci. Les franges d’interférences, qui indiquent la différence de longueur de ces deux trajets, laquelle a soudain beaucoup varié, doivent nécessairement s’être déplacées, et d’une grande quantité, ainsi que le montre le calcul.

Eh bien ! pas du tout. On constate une immobilité complète des franges. Elles n’ont pas plus bougé que souches. C’est renversant, révoltant même, car enfin la précision de l’appareil est telle que, si la terre n’avançait dans l’éther qu’à la vitesse de 3 kilomètres par seconde (dix fois moins que sa vitesse réelle !), le déplacement des franges serait suffisant pour manifester cette vitesse.

Lorsque fut connu le résultat négatif de cette expérience, ce fut presque de la consternation parmi les physiciens. Puisque l’éther, — cela avait été prouvé par l’observation, — n’était pas entraîné par la terre, comment était-il possible qu’il se comportât tout de même que s’il avait participé à son mouvement ? Casse-tête chinois, qui ébranla mainte tête chenue et vénérable. Il fallait à toute force sortir de cette inexplicable contradiction, venger ce paradoxal pied de nez que les faits décochaient aux prévisions les plus sûres du calcul. C’est ce qu’on fit. Comment ? Mais par la méthode habituelle en pareil cas, par des hypothèses supplémentaires. Les hypothèses sont dans la science une sorte de mortier souple, et rapidement durci à l’air libre, qui permet d’une part de joindre les blocs disparates d’un édifice, d’autre part de remplir par du faux,