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pagnent jusqu’à Queenstown où nous prendrons le tramway qui nous mènera jusqu’aux chutes. Dès l’arrivée, nous nous précipitons pour les voir et entendre « le Tonnerre des eaux. »

Tout le monde sait que la cataracte du Niagara est divisée en deux parties par la petite île de la Chèvre ; d’un côté, la chute américaine, nappe large, régulière, tendue sur la falaise comme un tapis d’argent vif ; de l’autre, la chute canadienne qui s’incurve en forme de fer à cheval et où se précipite par torrents, avec des reflets bleus et verts, la masse principale des eaux. Cette dernière n’est visible que dans sa partie supérieure, masquée qu’elle est dans son ensemble par un nuage de poussière d’eau qui s’élève du fond de l’abîme et où s’allument parfois de prodigieux arcs-en-ciel. La hauteur des chutes est de 50 mètres environ ; elles se développent sur plusieurs centaines de mètres.

Il est amusant de remarquer l’impression produite sur les différents membres de la mission. Beaucoup ne disent rien ; quelques-uns poussent des exclamations : « Colossal ! Fantastique ! »

— Je la reconnais, dit l’un de nous, elle ressemble à ses photographies !

— J’ai lu, dit un autre, la description de Chateaubriand, et je ne m’y retrouve pas. Où sont donc les aigles qui tournoient au-dessus du gouffre, luttant contre les tourbillons de l’air que les eaux entraînent avec elles ?

— Que voulez-vous que fasse cette eau ? murmure un sceptique, comme se parlant à lui-même, il faut bien qu’elle tombe ! Il est vrai, ajoute-t-il en riant, qu’elle s’écroule avec une majesté où on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de la grâce ou de la violence ; en haut, elle est calme, en bas son mugissement est terrible. C’est tout de même un beau spectacle !

— Combien de chevaux ? demande un esprit pratique.

— 10 millions !

— Fichtre ! et qui ne s’usent pas et sont toujours disponibles ! Voici certes un des plus puissants gisements de houille blanche du monde.

Et aussitôt les regards se portent vers de lourdes bâtisses accroupies en amont et en aval au bord des eaux. Qu’est-ce que tout cela ? Ce sont les usines électriques qui emmagasinent et distribuent, à des centaines de kilomètres, sur les deux rives, la force et la lumière. Nous nous retournons : des ponts métalliques, jetés d’un bord à l’autre des murailles de rocher, en