Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.

foi, si vous n’en savez rien, vous n’êtes pas de chez nous !… Un autre jour, il se réjouit d’avoir trouvé, dans la correspondance de Rollinat, des lignes charmantes. Rollinat demeurait à Fresselines, un village de la Creuse ; il avait une « charrette légère et solide avec jument pourrie de sang », pour aller chercher à la gare et promener ses amis de Paris dans les environs. Claude Monet venait le voir. Et, à l’exposition de 1889, la peinture de Monet fut appréciée à sa juste valeur. Rollinat écrivit à son ami et le complimenta d’un si beau succès : « Le bruit nous en était venu jusqu’à Fresselines, où monsieur le curé, monsieur de la Celle et les époux Baronnet ont été les premiers à s’en réjouir avec nous. » Est-il, demande M. Franc-Nohain, « plus charmante évocation que ces lignes, hommage plus touchant et ingénu ? Ce M. Monet, dont il est question dans les journaux, oui, monsieur le curé, c’est lui que vous avez vu ici au printemps dernier !… » Cela est de France et de chez nous. Je voudrais citer une page où l’oncle Bertrand ne se tient pas d’avouer qu’on lui fait plaisir en lui écrivant : « Mon bon oncle Bertrand… » N’aimez-vous pas la bonté ? Avec un peu de bonté, qui vous rendrait indulgent et affable, aussitôt la vie serait agréable et facile. On n’est pas très méchant, d’habitude ; « mais c’est trop souvent une attitude que l’on prend, un genre que l’on se donne ; on ne veut pas paraître bon, par crainte de sembler dupe ; on se raidit, on se guinde, on ferme son cœur, au lieu de l’ouvrir… » Et puis, la bonté n’est pas à la mode, au pays de l’Instar. Notre bonté, nous l’avons au fin fond de nous ; et le fin fond de nous, l’intimité de nos âmes, est un endroit où les gens de l’Instar ne vont jamais ; ils n’ont pas le temps et ils ne vivent qu’à la surface d’eux-mêmes, pour ainsi parler.

La philosophie de l’Instar, — mais je crois que M. Franc-Nohain blâmerait ce grand mot, — la doctrine ou l’idée de l’Instar est parfaitement nette à présent. Le moraliste qui nous engage à être nous-mêmes ne nous donne point un conseil d’orgueil, ni seulement un conseil de farouche individualisme. Il ne compte pas nous détacher de nos entours : au contraire ! Il sait que, réduits à nous-mêmes, nous ne sommes pas grand chose. Nous n’inventons pas chacune de nos opinions ni de nos croyances : nous n’y saurions suffire. Nous n’improvisons pas nos âmes : nous les avons héritées. Nous ne sommes pleinement nous-mêmes que par l’influence de nos proches, pleinement nous-mêmes que chez nous, en France, ou dans notre pays de province, ou dans notre vieux village de Paris. Loin de nous détacher, M. Franc-Nohain nous attache et nous prie de connaître la