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qu’elle épure les mœurs, qu’elle rejette tout ce qui peut porter atteinte à la propagation de l’espèce humaine, à l’ordre, à la liberté, elle doit être adoptée, protégée et soutenue. N’avons-nous pas vu, dans les siècles qui nous ont précédés, combien il était dangereux d’être intolérant, exclusif ? Dieu nous garde d’avoir à supporter un tel fléau qui est la destruction des nations ! Soyons plus sages que nos ancêtres ; ne voyons que le bien et le bonheur publics. C’est beaucoup trop sans doute d’avoir des démêlés pour les affaires politiques. Plus les choses sont simplifiées, et moins de tourments elles nous donnent. Hélas ! hier nous sommes entrés dans ce monde, aujourd’hui nous le possédons, et demain nous disparaîtrons de sa surface, lâchons donc d’être heureux sur cette terre, où nous ne restons que quelques instants. »

Quelques mois après l’assassinat du duc de Berry, l’Empereur reçut des nouvelles de l’Europe. Comme à son ordinaire, il parcourut avec avidité tous les livres, les brochures, et les journaux qu’on lui envoyait d’Angleterre. Il lut dans ceux-ci une relation de l’assassinat du prince. La nuit suivante, il conversa assez longuement avec moi qui étais de service. Il me dit : « Quelle inconséquence de la part du duc de Berry, d’un prince du sang, qui pouvait et devait être appelé un jour à monter sur le trône et qui était susceptible d’avoir des enfants, d’aller prendre son plaisir dans de grandes réunions publiques, et dans un moment où toutes les opinions se froissent si fortement ! N’était-il pas assez grand seigneur pour avoir bal ou spectacle chez lui, plutôt que d’aller se montrer dans une salle d’opéra ? Au moins, quand on se mêle dans la foule, faut-il prendre les précautions nécessaires et ne pas trop se fier aux apparences qui sont souvent trompeuses. Quel tableau déchirant pour une famille et horrible pour les yeux d’une jeune épouse ! Toutes les circonstances de cet assassinat sont effroyables.

« Ah ! si j’avais agi aussi inconsidérément, aussi imprudemment, reprit-il, combien de fois je serais tombé sous le poignard des assassins ! Mais j’avais toujours soin d’être où l’on m’attendait le moins. L’affaire de la rue Saint-Nicaise faillit m’être fatale, parce que j’allais dans un endroit où j’étais attendu. Ce ne fut qu’aux sollicitations de l’impératrice Joséphine que je me décidai à monter en voiture, et, sans l’ivresse de mon cocher, sans l’incertitude où l’on était de savoir quelle voiture me