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certainement un peu de jalousie dans l’antipathie de Blaze de Bury pour Musset ; les deux hommes ne se rapprochaient que pour parler musique : ils l’aimaient passionnément tous deux. Le poète des Nuits vantait Schubert : « Quels secrets a ce diable d’homme ! Citez-moi un bruit de la nature qu’il n’ait pas inventorié. Personne comme lui ne s’entend à peindre l’eau, et quelle variété de touche ! L’eau qui fait aller le moulin de la « belle meunière, » n’est point la même que celle du ruisseau clair où danse « la truite. » Il a, comme nous disions en rhétorique, des onomatopées dont aucun musicien ne s’est douté, des roulis, des rythmes, des tic-tac, qui réveillent en vous le sentiment de toute une série de bruits réellement perçus… tenez, c’est un paysagiste incomparable… et Mendelssohn donc ! » Musset confiait à Henri Blaze qu’il proposa jadis à Véron, alors directeur de l’Opéra, le Songe d’une nuit d’été, « opéra en deux actes, paroles de Shakspeare, musique de Mendelssohn : » Véron n’en voulut point.

En 1846, Musset, pour se divertir, je pense, écrivit à propos d’un poème de Blaze, Franz Coppola, des vers sur leur auteur. François Buloz en avertit son beau-frère : « J’ai là des vers d’Alfred sur vous, voulez-vous les lire ? Il m’a autorisé à vous les montrer. » Mais Blaze : — « Je les lirai quand ils paraîtront dans la Revue. — Autant dire jamais. » Non, F. Buloz ne voulut pas publier ces vers de Musset : « Tous ceux qui ont connu Buloz savent jusqu’où cet homme, difficile et dur, poussait la délicatesse professionnelle. Une fois sur le terrain de la Revue, il ne tolérait ni attaques, ni représailles entre ses rédacteurs. Somme toute, ces vers manquaient de bienveillance, non de courtoisie… Mais Buloz avait sa règle de conduite, et son inflexible défiance surveillait les coups de filet, à l’égal des coups d’encensoir[1]. »

Notre critique, qui fut l’élève de Michelet, lorsque celui-ci enseignait l’histoire au collège Rollin, eût voulu l’attacher à la Revue. Michelet y écrivit peu ; il eût fallu « l’attirer, » affirmait Henri Blaze, qui se vit refuser un article sur l’Histoire romaine ; « car, lui dit François Buloz, pour avoir le droit d’exprimer son opinion sur un homme de talent ou de génie, il faut ne le connaître, ni l’aimer. » Scrupules exagérés, pensait Blaze, que

  1. Henri Blaze de Bury, Mes Souvenirs (Revue Internationale, 1888, t. 17, page 335.)