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Donc il y avait, en 1784, rue Saint-Antoine, près la prison de la Force, un miroitier nommé Toussaint Mareux, qui exerçait paisiblement son commerce et faisait de bonnes affaires, aidé par sa femme, ses deux fils et sa fille. C’était un Picard de cinquante ans, appartenant à une vieille souche de fermiers lentement enrichis par l’épargne. Tout jeune, il était venu à Paris, où trois de ses cousins représentaient déjà la Compagnie Royale de Saint-Gobain ; et il avait pris, comme eux, un dépôt de miroirs dans la Cité. A vingt-cinq ans, il épousa « une confrère, » Geneviève Sallior, plus âgée que lui de quelques années, et il entra ainsi dans une ancienne famille parisienne qui, déjà sous Louis XIV, avait fourni des premiers valets de chambre et femmes de chambre à toute la famille royale, à la Palatine, belle-sœur du Roi ; à sa fille, la princesse de Conti ; à sa petite-fille, la duchesse de Berry et dont plusieurs membres avaient atteint ensuite à la fortune dans le commerce de la tapisserie, puis dans l’architecture.

Le milieu était celui de bourgeois aisés frottés à la Cour. Maisons de ville et de campagne, carrosse, argenterie, bijoux, objets d’art et tableaux, conversations sur les salons annuels, les ventes fameuses, les spectacles ou les livres. Toussaint Mareux était moins riche que les nombreux cousins de sa femme ; mais on n’aperçoit pas qu’il en ait été jaloux. C’était un bon cœur sans aucun mélange de fiel.

Intelligent et actif, il avait, en outre, beaucoup d’imagination : il en avait trop pour la sécurité de ses entreprises ; car cette imagination interposait devant toutes choses un verre rose qui les lui faisait apercevoir en beau. Après avoir gagné quelques dizaines de mille francs dans son commerce de glaces, il se lassa d’opérations rigoureusement limitées par des règlements sévères et des tarifications dont le principe remontait à Colbert et se lança successivement dans une série d’entreprises plus hardies. Au moment où il commence à nous intéresser, il est, à la fois, éditeur de livres, entrepreneur de constructions, directeur d’un théâtre, etc. Son optimisme aperçoit déjà, dans chacune de ces branches, la source de merveilleux bénéfices. Cet optimisme invétéré forme, à vrai dire, le fond de son tempérament et il a certainement contribué à lui faire épouser, avec une confiance inébranlable, le mouvement vite accéléré