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Il faut avouer que, dans cette question, les élus des ports maritimes ont leur part de responsabilité. Nos cinq ports métropolitains sont autant de fiefs électoraux dont dépend la représentation parlementaire locale, car tout le monde est intéressé au maintien des abus, ouvriers, fonctionnaires, commerçants retraités, et, d’une façon générale, tous les habitants de nos ports. Ceux-ci ont trouvé au Parlement des avocats trop éloquents, et des auditeurs trop bénévoles. L’esprit de surenchère s’est emparé de tous les corps de la marine. Les arsenaux sont devenus autant de foyers d’intrigues ; ils ont inspiré toutes les délibérations qui se sont déroulées depuis ces dernières années au Luxembourg ou au Palais-Bourbon. Gardons-nous d’incriminer les seuls ouvriers, qui, s’ils ont été les plus turbulents, ne se sont point toujours montrés les plus âpres, ni les plus exigeants dans la discussion de leurs intérêts. Et plaignons sincèrement le ministre de la Marine d’être obligé de tenir le gouvernail dans des conditions aussi difficiles. Dans son propre ministère, il doit s’opposer au courant des divergences corporatives, qui risquent d’entraîner la barque dans les directions lus plus folles. Il ne quitte ce milieu instable que pour se heurter aux écueils du Palais-Bourbon qui sont pour lui une perpétuelle menace. Il est indispensable que le Parlement rompe avec de tels usages. Les destinées de notre marine de guerre ne doivent pas rester entre les mains de ceux dont les mandats altèrent l’indépendance.

Quant au nombre exagéré de nos ports, il tient à des causes plus générales. Toutes les marines européennes, quelles qu’elles soient, en possèdent elles-mêmes en trop grand nombre. Aujourd’hui que les navires filent 30 nœuds, et ont des rayons d’action qui dépassent 2 et 5 000 milles, il est bien certain que la stratégie commande de concentrer les efforts sur certains points bien déterminés, au lieu de les disséminer en pure perte. Bien des arsenaux, d’ailleurs, relégués en amont des fleuves, ne peuvent plus recevoir les bâtiments modernes. Toutes les nations cherchent donc à réduire le nombre de leurs arsenaux, bien qu’ils se trouvent dans une position beaucoup moins défavorable que la France. L’Allemagne, par exemple, qui, en 1914, a pu édifier une formidable puissance, avec 3 arsenaux et 23 000 ouvriers, n’a plus que 2 arsenaux et 10 000 ouvriers à Kiel et Wilhelmshafen. L’Angleterre n’entretenait avant la