Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/751

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et je traduis ces nouvelles au pauvre Djemil qui, tout pâle, m’écoute d’un air de résignation accablée.


Vendredi 15 août.

Le grand Vizir m’envoie prendre, par son beau caïque à trois rameurs en vestes capucine brodées d’or, pour la visite que je dois lui faire dans son palais de Yeni Keui, sur la côte d’Europe.

A l’instant où je prends place dans la somptueuse embarcation, le paquebot qui m’a amené de France et continue sa route vers la Mer-Noire, passe devant Candilli et me salue du pavillon.

Après la réception du grand Vizir, j’ai le temps d’aller, toujours avec le beau caïque, sur la rive asiatique du Bosphore, à Béïcos. Mon arrivée en cet équipage y fait sensation ; comme je suis coiffé d’un fez, tous les rêveurs, assis au bord de l’eau, me prennent pour quelque seigneur turc et se lèvent avec de grands saluts.

Oh ! la mélancolie de revenir là, sous l’ombre épaisse des platanes centenaires, dans la « Vallée du Grand-Seigneur » où plane toujours le même calme sans nom, le même mystère...

Au bord du ruisseau plein de tortues, l’humble tout petit café existe encore, comme au temps des « désenchantées ; » et l’on m’y reconnaît avec émotion. Le crépuscule approche et des familles turques, femmes voilées, arrivent pour faire sur l’herbe l’ « iftar » du Ramazan (le repas du soir, après le jour de jeune). Les bergers ramènent leurs chèvres avec la même musique de flûte qu’autrefois. Dans la forteresse enfouie sous les arbres on entend les mêmes sonneries graves des trompettes turques appelant les soldats à la prière.

Je m’attarde en ce lieu de paix élyséenne et la lune éclaire déjà quand je rentre à Candilli, sur les eaux du Bosphore qui ont pris, comme chaque soir, leur immobilité de glace réfléchissante.

Vers neuf heures du soir, comme nous sommes assis au bord de l’eau, sur le petit quai de marbre, on entend s’approcher une vieille musique de Turquie, musettes et tambourins ; c’est en mon honneur, me dit-on, une fête en surprise que m’ont préparée les gens du village. Une barque parait, une immense barque menée par huit rameurs en costume d’autrefois, qui rament debout. Elle est tout illuminée et pavoisée, avec, à ma louange, une inscription transparente en caractères turcs. Dans