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en complète harmonie, y mènent le même genre de vie, et rien ne distingue sa classe dirigeante de celle des pays d’Europe, à laquelle elle n’est inférieure ni par l’instruction, ni par la culture. L’esclavage et la polygamie n’y sont plus guère qu’à l’état de souvenir, le commerce et le crédit y sont prospères sous leurs formes les plus perfectionnées, sans être gênés par la prohibition que la loi religieuse fait du prêt à intérêt ; tous les cultes y sont pratiqués et toutes les opinions religieuses y sont exprimées sans aucune restriction, avec une liberté que certains Etats européens pourraient envier. Il y a près de cinquante ans, le khédive Ismaïl disait : « Mon pays n’est plus en Afrique, il fait partie de l’Europe. » Ce mot, prononcé un peu prématurément par un homme qui a tant fait pour qu’il devînt une vérité, est maintenant d’une parfaite exactitude.


V. — LA TRANSFORMATION DES MŒURS ET DES IDÉES. — L’IDÉE ET LE SENTIMENT DE PATRIE. — L’IDÉE DE NATIONALITÉ

La transformation des mœurs n’a pas été moins grande dans ce pays que celle des institutions. Quiconque a droit ou simplement prétend au titre d’effendi, s’habille et se loge à l’européenne ; les prescriptions religieuses relatives à l’alimentation sont de moins en moins observées. Plus encore que celle des hommes, la condition des femmes musulmanes a changé, en même temps que leur mentalité se transformait. Sous l’influence et des nouveaux usages et de l’instruction dont bénéficient maintenant même les jeunes filles de condition modeste, elles ont pris conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Les relations entre époux, entre parents et enfants ont évolué avec la même rapidité que le milieu social. De la conception patriarcale du mariage et de la famille, il ne subsiste guère que quelques usages de bienséance.

La presse de langue arabe, turque, persane a été le principal véhicule des idées européennes ; elle a beaucoup fait pour développer chez ses lecteurs le goût de l’information précise et celui de la libre discussion. Les premiers journaux musulmans ont paru il y a moins de cent ans, sur le modèle de ceux d’Europe. Resté longtemps stationnaire, leur nombre s’accroît sans cesse depuis un quart de siècle. En Egypte, deux ou trois