Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était pas encore arrivé. Quand la ligne fut formée, l’Empereur envoya seul en avant M. Roul, son premier officier d’ordonnance, pour faire savoir sa présence aux troupes qui étaient devant nous. On opposa à cet officier la défense qui avait été faite de communiquer. L’Empereur, voyant de l’incertitude, prit le parti d’ordonner à ses soldats de mettre l’arme sous le bras et de se porter en avant au pas de course, ce qui fut exécuté aussitôt. L’Empereur à cheval était à quelques pas devant sa garde qui en un moment joignit la troupe, qui avait l’arme au bras. Arrivé à deux ou trois toises, on fit halte. Le plus grand silence régnait dans les rangs de l’un et l’autre partis. L’Empereur, sans perdre de temps, harangue les soldats à la cocarde blanche, et, à peine a-t-il prononcé les derniers mots, que des cris de Vive l’Empereur ! se font entendre. Cette troupe était un bataillon du 5e de ligne. Au même moment, les soldats de la Garde se mêlent avec ceux de la ligne, on se donne des poignées de mains, on s’embrasse, et de nouveaux cris de Vive l’Empereur ! retentissent de toutes parts. Cette scène, ce spectacle produisit un tel effet qu’il n’y eut pas un seul soldat qui n’eût les larmes dans les yeux et l’enthousiasme dans le cœur. Je crois que l’Empereur descendit de cheval et embrassa le commandant du bataillon. Ce pauvre homme, étourdi de tout ce qu’il voyait autour de lui, put à peine articuler quelques mots. On m’a dit qu’il avait servi dans la Garde. La cocarde blanche fut arrachée des shakos et foulée aux pieds. Plusieurs des soldats qui venaient de passer du côté de l’Empereur, firent voir, en mettant la baguette dans le canon, que leurs armes n’étaient pas chargées : « Tenez, voyez ! » disaient-ils.

Cette première rencontre augmenta l’armée de l’Empereur. On se mit en marche. Le cortège se grossit à chaque pas des habitants des campagnes qui, de toutes parts, se rendaient sur la route. Entre Vizille et Grenoble, le colonel Labédoyère avec son régiment vint se ranger sous l’épée de l’Empereur, et, peu après, parut un groupe de militaires, escorté de beaucoup de monde ; au milieu d’eux, on aperçut un aigle planté au bout d’une perche ; il avait appartenu à un drapeau de régiment. Dès que le groupe se fut approché de l’Empereur, ils lui présentèrent l’enseigne qui avait été conservée, et des cris de Vive l’Empereur « sortirent en même temps de toutes les bouches. Paysans, soldats, bourgeois, femmes et enfants, tous marchaient pêle-mêle.