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était toujours fort tard lorsqu’on arrivait au gîte. Une fois à Gap, nous voyageâmes avec plus de facilité. A chaque ville, bourg, ou village, par lesquels nous passions, on achetait tous les chevaux en état de porter un homme, et c’est ainsi que l’on monta les Polonais, beaucoup d’officiers, et toutes les personnes de la Maison ; on eut aussi quelques autres moyens de transport pour les soldats fatigués et le petit bagage que l’on avait avec soi : nous tous de la Maison, nous avions laissé à Porto-Ferrajo tous nos effets, nous n’avions emporté que ce qui était indispensablement nécessaire pour le voyage. Ce fut à Gap que fut imprimée la première proclamation de l’Empereur ; ce fut là aussi que nous vîmes un peu plus d’empressement de la part de la population et que quelques militaires, retirés dans leurs foyers, vinrent augmenter quelque peu notre petite armée. C’était toujours quelque chose. A mesure que nous avancions, le moment décisif approchait.

Lors du débarquement, on n’avait point d’aigle ; ce n’avait été que le deuxième ou troisième jour qu’on en avait eu un : il était en bois doré ; il provenait, il est à croire, de quelque flèche de lit ou de quelque tringle de fenêtre. On l’avait mis au bout d’un bâton et avec des morceaux d’étoffe des trois couleurs, qu’on y avait cloués, on en avait fait un drapeau.

Le 6, on coucha à Corps, et ce fut le 7 que nous commençâmes à voir clair dans nos af-faires. Jusque-là nous avions voyagé, on peut dire, comme des aventuriers. Le 6, le général Cambronne avec son avant-garde avait poussé jusqu’à La Mure et y avait couché ; il avait rencontré l’avant-garde envoyée de Grenoble pour arrêter la marche de l’Empereur. Le général avait cherché à parlementer, mais réponse lui avait été faite qu’il y avait défense de communiquer. Le lendemain, 7, cette avant-garde opposée, qui avait rétrogradé de quelques lieues, nous ayant laissé le champ libre, le général Cambronne put se porter en avant. L’Empereur, instruit de ce qui s’était passé, réunit tout son monde et on marcha dès lors avec ordre et prudence. Chemin faisant, on atteignit le général qui avait modéré sa marche au moyen de haltes fréquentes.

Au milieu du jour, nous aperçûmes l’avant-garde qui nous était opposée. L’Empereur fit approcher le plus près possible sa Garde, qu’il mit en bataille, et sa petite cavalerie sur les ailes. Je ne me rappelle pas avoir vu le bataillon corse : je crois qu’il