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l’indispensable Vive le Roi ! Sur cette même place, j’ai vu nos deux canons et la voiture de l’Empereur. La route que nous devions parcourir n’étant pas, par endroits, praticable aux voitures et le pays étant très montagneux, on avait pris le sage parti de les laisser à Grasse plutôt que de s’en embarrasser, et on avait eu parfaitement raison, car ils eussent retardé notre marche sans nous rendre le moindre service.

Nous nous remîmes en marche. En sortant de la ville, nous eûmes à monter une haute montagne. Arrivés sur le plateau, nous vîmes à droite un cercle formé d’un assez grand nombre de gens, bourgeois et paysans, femmes et enfants, au milieu desquels étaient l’Empereur et son état-major. Sa Majesté causait et s’entretenait tour à tour avec la plupart de ceux qui faisaient partie de ce cercle. Malgré tous les frais qu’il faisait, tout ce monde restait à peu près froid. Probablement l’Empereur avait déjeuné dans ce lieu et tous ceux qui l’entouraient l’avaient accompagné depuis la ville.

Nous autres, nous ne restâmes pas là. Etant à pied, nous n’avions rien de mieux à faire que de gagner du terrain et d’arriver le plus tôt possible à la couchée. Nous continuâmes donc à marcher avec plus d’ardeur.

Il n’y avait guère que l’avant-garde qui marchât avec quelque ordre. Le corps de la petite armée était éparpillé sur la route, formant une quantité de petits pelotons plus ou moins faibles. Beaucoup de soldats cheminaient isolément ; il semblait qu’on fût chez soi, et que, pour cette raison, on n’avait rien à craindre ; cependant on était en Provence, mais les malintentionnés, surpris, n’avaient pas le temps de prendre leurs mesures.

La couchée était où s’arrêtait la tête de la colonne. Le 2, on coucha à Séranon ; le 3, à Barrème ; le 4, à Digne ; le 5 à Gap. Pendant ces quatre jours, nous eûmes beaucoup de peine : nous n’étions pas faits à la fatigue. Les deux premières journées nous coûtèrent le plus : à tout moment, c’étaient des montagnes dont il fallait atteindre la cime, ou des défilés assez étroits qu’il fallait passer ; tantôt de la neige, tantôt de la boue nous empêchait d’accélérer le pas au-tant que nous l’aurions voulu. Je me rappelle que, dans un défilé des plus étroits et des plus mauvais, il y eut un mulet qui roula dans un précipice. Malgré la fatigue de longues journées de marche, je ne pense pas que personne soit resté en arrière. On partait le matin avant le jour et il