Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant le séjour de ces dames, l’Empereur dînait avec elles sur la plate-forme qui était en avant de la tente. Son déjeuner, il le prenait également en plein air.

À l’Ile d’Elbe, l’Empereur était entouré de beaucoup de gens qui, étant tout nouvellement attachés à son service, ne savaient pas ce que c’était que d’avoir de la discrétion, et ce qu’ils virent et ce qu’ils entendirent, ils n’eurent rien de plus chaud que d’aller le conter à qui voulut les entendre. L’Empereur lui-même, tout en ai-mant le mystère, agissait sans précaution, se croyant encore entouré de personnes dis-crètes. Le soir, il sortait de sa tente en robe de chambre, allait chez ces dames d’où il ne sortait qu’aux approches du jour. Les factionnaires eux aussi savaient bien quoi penser de ces allées et venues. En affaires amoureuses, l’homme le plus simple est beaucoup plus adroit que ne l’était l’Empereur et que ne sont en général les grands seigneurs.

Dans un petit pays, tout se sait, tout s’apprend ; il suffit que deux yeux aient vu quelque chose, que deux oreilles aient entendu quelques mots, pour que tout le monde ait vu et entendu. Mais souvent les choses sont si mal rapportées, si infidèlement rendues, qu’elles se trouvent changées du tout au tout, quand il y a eu plusieurs transmissions. Le bruit courut à Porto-Ferrajo que l’Impératrice et son fils étaient à la Madone de Murciane. L’officier de gendarmerie lui-même, lui qui avait porté le fils de Mme Walewska de la Marine de Murciane à la Madone, croyait avoir porté le roi de Rome.

Mme Walewska resta, je crois, une douzaine de jours, à la Madone, après quoi, il fut question de son départ. L’Empereur, voulant lui donner quelque argent, en demanda à Marchand ; mais celui-ci, n’en ayant pas assez, me vint trouver. Il savait que ma ceinture était assez bien garnie. Il me confia que, l’Empereur n’ayant point d’or à la Madone, lui, Marchand, me demandait que je lui prêtasse une certaine somme (c’était peut-être deux ou trois mille francs) pour Mme Walewska, et qu’arrivé à Porto-Ferrajo, il me la rendrait. Je comptai immédiatement ce que l’Empereur désirait donner.

Peu de jours après le départ de Mme Walewska, l’Empereur quitta la Madone pour retournera Porto-Ferrajo et fut suivi par toutes les personnes de son service qu’il avait emmenées, ainsi que par le petit peloton de grenadiers ou chasseurs qui l’avait gardé.