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LES PRÉFIGURATIONS CHEZ WATTEAU
À PROPOS DE SON DEUXIÈME CENTENAIRE

Il y a deux siècles, le 18 juillet 1721, mourait à l’âge de trente-sept ans à peine, dans une petite maison de Nogent-sur-Marne, entre les bras de ses amis, sa seule famille, un être singulier, dont le destin avait été de réaliser une œuvre qui fût pleine de tout ce qu’il n’avait pu trouver dans la vie. C’était un peintre né flamand qui, avec des figures de la Comédie italienne, avait créé l’art le plus français, le plus divertissant, le plus spirituel et le plus mesuré du monde. Un disciple respectueux des maîtres, qui avait franchi, sans y penser, toutes les barrières de l’Ecole et orienté la peinture vers des horizons entièrement nouveaux. Un esprit inquiet, dans une santé tourmentée, qui avait inventé une humanité affranchie de tout souci et douleur, un instable qui lui avait donné le repos, un mécontent qui lui avait apporté la paix. Et ce n’est tout. Misanthrope, lourd, froid, embarrassé, incompatible, ce solitaire n’avait fait autre chose que célébrer les plaisirs et les élégances de la sociabilité ; citadin évadé de la province, enfermé dans Paris, il avait découvert, au bout d’une allée, l’infini du paysage ; de mœurs sages, donné l’essor à toute une bande légère d’êtres uniquement occupés d’amour et de galanterie. Errant de logis en logis, toujours mal à son aise là où il était, son imagination n’avait jamais habité que le même coin de parc avec une trouée sur le même horizon. Pèlerin passionné de Rome et de Venise, consumé par la nostalgie de l’Italie, il n’avait jamais dépassé la Marne, et pourtant, rapporté des profondeurs de son désir plus de gestes napolitains et de splendeurs vénitiennes qu’aucun de ceux qui