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LETTRES DE PÉTROGRAD
ESQUISSES DE LA VIE SOVIÉTIQUE

II [1]


IV. — LA CHASSE AU PAIN QUOTIDIEN

Manger, c’est le problème autour duquel pivotent toutes les pensées, toutes les combinaisons, toute la vie en Soviétie ! Le peu qui reste d’énergie vitale est tendu vers ce but unique : se procurer le pain quotidien (et quel pain !). Pour cette question de la nourriture, il faut résoudre chaque jour de nouveaux casse-tête, commettre délits sur délits, aller jusqu’au crime !

Le mot n’est pas trop fort, attendu qu’il faut choisir : rester honnête et mourir de faim, ou transgresser les lois sous la protection desquelles florit la Russie soviétique ! La loi veut que le citoyen de la Soviétie se contente, pour apaiser sa faim, de la portion que la loi lui attribue. En effet, il n’a le droit ni de vendre ni d’acheter : tout commerce privé est absolument interdit, et la milice fait bonne garde. Or, comment vivre avec la portion légale ? Au mois de janvier, elle était d’une demi-livre de pain par jour et de trois livres de gruau et deux livres de viande par mois. En février, la portion de pain fut diminué : en revanche, le gruau et la viande ne furent pas distribués du tout. Il est clair qu’il faut enfreindre la loi et braver toutes les pénalités si l’on n’est pas résolu à périr d’inanition. Donc, on se glisse hors de la ville, emportant avec soi n’importe quel

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.