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homme servant de Mme la Duchesse douairière d’Orléans, veuve de Gaston, qui vivait retirée dans son palais du Luxembourg. La maison était triste et dévote. La Fontaine dut y passer des heures mélancoliques. Ses gages annuels n’étaient que de deux cents livres ; mais sa fonction lui laissait de grands loisirs : il pouvait souvent retourner à Château-Thierry, il pouvait surtout aller retrouver ses amis, festoyer avec eux, leur lire ses vers. D’ailleurs il n’était plus, comme chez Fouquet, obligé à une redevance poétique. Il se contenta, durant son séjour au Luxembourg, de rimer une gentille épitre pour le petit chien de Mme d’Orléans, et un sonnet amoureux pour la divine Poussay, fille d’honneur de Mlle d’Alençon.


Que de grâces, bons Dieux ! Tout rit dans Luxembourg.


Les quatre années de 1664 à 1768 sont celles où La Fontaine publie ses premiers chefs-d’œuvre : en 1664, un premier recueil de Nouvelles ; en 1665, la première partie des Contes et Nouvelles ; en 1666, la deuxième partie des Contes et Nouvelles ; en 1668, les six premiers livres des Fables.

Comment, passé la quarantaine, La Fontaine a-t-il soudain secoué sa nonchalance ? Comment est-il, en si peu de temps, parvenu à produire tous ces contes et toutes ces fables ? Pourquoi s’est-il aussi tard ap-pliqué aux deux genres où il allait tout de suite exceller ? Pour les contes, on en trouve déjà quelques modèles dans ses premiers essais : les Amours de Mars et de Vénus, dans le Songe de Vaux, le récit d’Acanthe à la fin de Clymène sont déjà des contes, et des meilleurs. Mais les Fables ! avant l’apparition du premier recueil, rien n’avait annoncé cet art neuf et du premier coup porté à sa perfection. La source a soudain jailli des profondeurs étendant au soleil sa nappe limpide et abondante. C’est un des plus beaux miracles de l’histoire de la poésie.


ANDRE HALLAYS.