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du télégraphe. Je distingue deux mats : c’est un brick. De nouveaux coups de canon se font entendre ; je les vois. C’est du secours que demande le bâtiment. On ne savait qui il était : il n’avait pas hissé son pavillon. L’Empereur prévenu arrive, enveloppé dans sa robe de chambre et le madras sur la tête, braque sa lunette sur le navire qui était dans une position si critique, et, après avoir longtemps regardé, croit reconnaître l’Inconstant ; mais, quel que soit le bâtiment, il donne aussitôt des ordres pour qu’on aille le secourir le plus promptement possible. Le vent était tellement fort qu’un moment, l’Empereur fut obligé de s’accroupir pour ne pas être ou enlevé ou renversé, et en se relevant, il eut soin de serrer fortement sa robe de chambre autour de lui, pour ne pas donner de prise au vent.

C’était effectivement l’Inconstant qui était échoué. Les secours arrivèrent tardivement, parce qu’il fallait, avant de l’atteindre, parcourir la ligne de la vaste courbe du bassin de la rade, ou au moins en grande partie. On apprit que le commandant Taillade avait pré-féré se mettre à la côte plutôt que de se perdre sur les rochers des fortifications. Le brick revenait de mission ; il avait à son bord M. Ramolini, parent très proche de Madame-Mère. Ce pauvre homme avait été si effraye, qu’aussitôt qu’il avait été à terre, il avait fléchi les genoux pour rendre grâces au ciel d’être hors du péril.

Dans la partie Ouest qui précédait l’habitation de l’Empereur à Porto-Ferrajo, il existait un assez vaste emplacement abandonné, bordé au Nord et à l’Ouest par un parapet qui était le prolongement de celui du jardin. Dans cet espace inoccupé, il y avait deux constructions de forme cylindrique, terminées en cônes peu élevés ; elles étaient voisines l’une de l’autre ; c’étaient deux ruines de moulins à poudre. L’Empereur, ayant conçu le projet de nettoyer tout cet emplacement pour faire un jardin, ordonna la démolition de ces deux ruines, et la donna à l’entreprise à quelques grenadiers et chasseurs qui ne demandaient pas mieux que de gagner quelque argent. Le marché conclu, ces soldats se mirent aussitôt à la besogne, mais ils eurent beaucoup de peine ; les pierres adhéraient si fortement les unes aux autres, que, pour les ébranler, ils furent obligés d’employer la mine. Enfin, après quelques jours d’un travail extrêmement pénible, ils parvinrent à ôter jusqu’à la dernière pierre. Ils gagnèrent bien le prix qui avait été convenu.