Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévote et qu’elle passait pour être très avare. Lorsqu’elle parlait français, elle avait l’accent italien très prononcé. Elle était peu causeuse. A Paris, sa place à table était à la droite de l’Empereur et elle avait un fauteuil ; à l’Ile d’Elbe, elle se plaçait en face de Sa Majesté.

La princesse Pauline, à l’Ile d’Elbe, pouvait avoir de trente à trente-cinq ans. Sa personne, suivant ce qui était apparent, avait toutes les belles proportions de la Vénus de Médicis. Il ne lui manquait alors qu’un peu de jeunesse, car la peau de sa figure commençait à se rider ; mais les quelques défectuosités résultant de l’âge disparaissaient sous une légère teinte de fard qui donnait plus d’animation à sa jolie physionomie. Elle avait des yeux charmants et fort éveillés ; la bouche était des mieux meublées, et les mains et les pieds du plus parfait modèle. Sa toilette était toujours très recherchée et sa mise était celle d’une jeune personne de dix-huit ans. Elle se disait toujours souffrante, malade ; quand il fal-lait qu’elle montât ou descendit un escalier, elle se faisait porter sur un carré de velours garni des deux côtés de rouleaux à poignées ; et cependant si elle était au bal, elle dansait comme une femme qui jouit d’une très bonne santé. Tous les jours elle dînait avec l’Empereur qui, de temps en temps, se plaisait à l’asticoter, à la plaisanter. Un soir, elle fut si dépitée de ce que l’Empereur venait de lui dire, qu’elle se leva de table et s’en alla chez elle les larmes aux yeux. Du reste, la bouderie ne durait jamais longtemps ; car l’Empereur montait la voir le soir ou le lendemain matin, et toute petite rancune disparaissait promptement.

Presque tous les jours, le matin, l’Empereur allait à Saint-Martin. C’était sa maison de campagne. Elle était située au fond d’une longue vallée faisant face à la ville, et était éloignée de celle-ci de près d’une lieue. Elle était bâtie à la naissance de cette vallée et à mi-côte. Du côté regardant la vallée, il y avait un rez-de-chaussée et un premier, et, du côté opposé, le premier était au niveau du sol. Devant cette face-ci, était une espèce de cour et de l’autre, une terrasse. L’habitation, quoique d’un aspect fort ordinaire, était assez bien distribuée ; il y avait une grande salle à manger donnant sur la cour et un salon de même dimension qui avait vue sur la vallée. Ces deux pièces occupaient le milieu du bâtiment et étaient éclairées chacune par trois fenêtres. Cinq très petites pièces, transformées en