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réquisitionnée, — pendant le séjour de la Cour à Rabat. Ce sont naturellement les maisons les plus cossues. Les propriétaires ont été invités à s’en aller loger ailleurs. On est bien logé à Rabat. Nous avons visité là successivement six maisons exquises. Nous sommes en plein hispano-mauresque. La splendeur de Rabat fut contemporaine de celle de Grenade. La tradition s’en est maintenue. On raconte que plusieurs familles de Rabat conservent la clef de leur maison de Grenade, pour le jour problématique où l’Islam y rentrera en conquérant. Il parait que ce n’est qu’une légende. Néanmoins, le souvenir reste vivace, et le Grand Vizir à qui nous faisons notre première visite Si Feddoul Gharnit, est de famille andalouse, qui vint de Grenade au commencement du XVIIe siècle, lors du dernier exode. Les galeries des cours intérieures ont toutes la même caractéristique : sur chaque face, trois arcades dentelées, la grande arcade centrale entre deux arcades étroites et effilées. Reprenez les photographies de l’Alhambra. C’est tout pareil. Une ornementation minutieuse et fine : les frises formées de grands caractères confites, et dans l’intérieur des pièces, le cintre des fenêtres se termine par une coquille cannelée, motif charmant, qui se répète partout. Et tout cela d’une blancheur éclatante. Il n’y a d’autres notes de couleur que l’admirable bleu du ciel, sur lequel se découpe le carré du faite, et le sol, les ébrasements des portes et des fenêtres couverts de faïences, non pas les carreaux multicolores d’Algérie, mais des mosaïques de faïences à dessins géométriques de quatre tons seulement : vert, bleu, brun et blanc, d’une douceur infinie. Et c’est dans ce décor, qui n’a rien de monotone, car il y a dans chaque demeure une infinité de variantes, que nous visitons successivement le Grand Vizir, puis le ministre des Recettes, Cheik-Tazi ; le Caïd Méchouar ; Si Driss bou Yaich ; le ministre des Dépenses, El Mokri ; le gouverneur de la ville, le fonctionnaire ministre de la Guerre, fils du fameux Guebbas, resté à Tanger, qui remplace ici son père, et enfin le favori, chef des Services intérieurs du Palais, El Hadj Omar. Celui-ci s’est octroyé la maison n° 1, il nous reçoit sur un balcon couvert, d’où la vue est merveilleuse sur la mer, les vieux remparts, le grand cimetière... Et comme, en ces visites toutes protocolaires, les affaires sont écartées et que M. Regnault a comme moi le goût des installations et de l’art arabes, les conversations se passent en dissertations sur les avantages