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Ses classes finies, La Fontaine s’avisa de prendre un état, ou les siens y songèrent pour lui. Or ce fut à l’état ecclésiastique que se destina le futur auteur des Contes. Peut-être à la suite d’une lecture pieuse, son imagination s’était-elle enflammée d’un de ces soudains enthousiasmes qui feront toujours la surprise et l’amusement de ses amis. Quoi qu’il en fût, à vingt ans, il partit pour Paris et entra dans la maison de l’Oratoire de la rue Saint-Honoré afin d’y suivre les exercices de piété imposés aux novices. Six mois après, on le voit au séminaire de Saint-Magloire dans le faubourg Saint-Jacques. Il y passa son temps à lire les poètes bien plus qu’à piocher la théologie, et dévora l’Astrée. On a, à ce pro-pos, brodé une gentille légende : ses maîtres l’avaient envoyé au séminaire de Juilly, — Juilly dont les grands marronniers ombragèrent les rêveries de Malebranche ; là, au lieu de se pré-parer à la vêture, il ne quittait son Marot que pour regarder par la fenêtre, et, comme sa cellule donnait sur la basse-cour, il se divertissait à voir les poules qui picoraient et les coqs « toujours en noise et turbulens, » puis, pour gagner les sympathies du poulailler, il descendait au bout d’une corde sa barrette pleine de mie de pain.

Au bout de dix-huit mois, Jean s’en alla laissant derrière lui son frère Claude qui, prenant son exemple au sérieux, était entré à l’Oratoire et y resta. On a observé avec raison qu’il est plus facile de comprendre pourquoi La Fontaine sortit de la pieuse maison que de savoir pourquoi il y était entré.

Seconde erreur de vocation : après le séminaire, La Fontaine veut étudier le droit et se fait recevoir avocat au Parlement. Mais la chicane n’est pas plus son affaire que la théologie. Au Palais, il retrouve François Maucroix qui, après avoir plaidé cinq ou six fois, décide de s’en retourner à Reims. La Fontaine fait comme lui et s’en revient à Château-Thierry.

Enfin dernière erreur de vocation : à vingt-six ans, il se marie. De cette grave distraction, nous aurons à reparler, non pas qu’il en ait beaucoup pâti : il s’évadera du mariage comme il s’est évadé de l’Oratoire et du Palais ; mais les femmes tinrent trop de place dans sa pensée et dans ses vers pour que l’indiscrète postérité ne se soit pas occupée de Mlle de La Fontaine, plus peut-être que le poète ne s’en occupa jamais. (Nous disons et dirons Mademoiselle de La Fontaine ; au XVIIe siècle dans la bourgeoisie, cette appella-tion était en usage pour les femmes mariées.)