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Depuis trois siècles, le paysage a bien changé. Les murailles du Bourg ont été rasées. Rasé aussi le Château et sur la vaste esplanade, qu’entourent encore les vieilles murailles démantelées, un parc offre ses al-lées ombreuses aux ébats des petits Castrotheodoriciens. Des maisons ont envahi les prairies voisines des faubourgs. Bien des tours et bien des clochers ont été renversés. Sur les côtes pier-reuses et couvertes de petits vignobles, quelques boqueteaux demeurent les seuls débris de l’ancienne forêt. Les siècles ont fait leur œuvre, aidés par la folle incurie des hommes. Enfin, les Barbares sont venus. Leurs obus ont écrasé une partie de la ville et endommagé le reste... Malgré tout, elle a conservé son charme et sa beauté, la fine cité champenoise, qui, ramassée au pied de sa vieille forteresse, mire son visage meurtri dans les eaux lentes et glorieuses de la Marne. Qui la découvre aujourd’hui, au milieu de son cirque de collines délicatement dessinées, souhaite toujours le plaisir « de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si délicieux. »


II. — LE PAYS ET LA FAMILLE DE LA FONTAINE

En 1621, Charles de La Fontaine, maître des eaux et forêts du duché de Château-Thierry, et sa femme, demoiselle Valentine Pidoux, habitaient une maison de la rue des Cordeliers, rue montante et tortueuse, au pied du château. Les meneaux des fenêtres, les chapiteaux des pilastres, les ornements sculptés au-dessus de la porte an-nonçaient que cette demeure avait été sinon bâtie, du moins restaurée un demi-siècle auparavant. Elle était précédée d’une cour, et, derrière le logis, s’étendait un petit jardin surplombé par le rempart du bourg, un vrai préau de prison. Depuis, la maison a été un peu modifiée : ses meneaux ont disparu ; les fortifications ont été découronnées et le soleil visite maintenant le jardinet devenu terrasse ; le mur et le portail qui séparaient la cour de la rue ont été remplacés par une grille ; enfin le bâtiment qui menaçait ruine a été réparé en 1913. La construction du XVIe siècle n’a pas encore perdu toute son élégance.

Ce fut dans cette maison que Jean de La Fontaine naquit le 8 juillet 1621.

Que le poète ait vu le jour dans une ville charmante, environnée de grands bois et de douces campagnes, qu’une jolie