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trois-centième anniversaire du plus illustre de ses fils. C’est une bonne coutume que d’honorer ainsi, de siècle en siècle, la mémoire des grands hommes. Tant pis si la commémoration s’accompagne parfois de réjouissances et de cérémonies un peu indignes de celui qui en est le prétexte ! Il n’est pas mauvais qu’à certaines dates un peuple fasse l’inventaire de son passé, le recensement de ses gloires. L’hommage public force l’attention ; les plus distraits s’arrêtent un moment au spectacle d’une belle vie ou au souvenir d’une belle œuvre Ainsi se perpétue la tradition spirituelle d’un peuple. Nous allons donc ici célébrer ensemble le troisième centenaire de La Fontaine.

D’ailleurs, vous l’avouerai-je ? même si je n’avais pas eu l’occasion de cet anniversaire, je crois que j’aurais encore choisi La Fontaine, car je suis de l’avis de Sainte-Beuve qui écrivait un jour : « Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de ne rien y apporter de nouveau ; c’est parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers, égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-même. Ce La Fontaine qu’on donne à lire aux enfants ne se goûte jamais si bien qu’après la quarantaine ; c’est ce vin vieux dont parle Voltaire et auquel il a comparé la poésie d’Horace ; il gagne à vieillir, et, de même que chacun en prenant de l’âge sent mieux La Fontaine, de même aussi la littérature française, à mesure qu’elle avance et qu’elle se prolonge, semble lui accorder une plus belle place et le reconnaître plus grand. »

Je suis bien sûr de ne rien vous apporter de nouveau, plus sûr encore que ne pouvait l’être Sainte-Beuve, il y a soixante-dix ans. On a tant et si bien écrit sur la Fontaine ! Sans parler de Sainte-Beuve lui-même, tous les critiques de notre littérature, Nisard, Saint-Marc Girardin, Brunetière, Faguet, M. Gazier, M. Michaut, M. Lanson, et bien d’autres encore, ont analysé et commenté son œuvre ; Taine a expliqué ses fables en moraliste et en historien ; dans un petit livre délicieux, Georges Lafenestre a peint l’homme et le poète. Quant à la vie de La Fontaine, elle a été déjà fouillée par tant de chercheurs érudits et ingénieux ! Après les deux volumes où Walckenaer a autrefois détruit bien