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chargé M. Viviani de rassurer M. le Président Harding sur l’attitude adoptée, dans l’affaire de l’île de Yap, par le gouvernement de la République et la déclaration de l’éminent envoyé français a produit le meilleur effet à Washington. Ce témoignage de notre amitié n’est pas, bien entendu, un simple présent d’occasion, pas plus que le voyage de M. Viviani n’est une manifestation sans lendemain. Nos relations avec les États-Unis sont invariables. L’Allemagne s’est fait, un instant, l’illusion que, par opposition à la politique du Président Wilson, le nouveau gouvernement américain allait s’enfermer dans je ne sais quelle tour d’ivoire, se désintéresser des choses européennes et laisser les vaincus d’hier nous enlever, un à un, les fruits de notre victoire. L’Allemagne a déjà dû en rabattre. Elle avait commis la même erreur pendant la guerre et, convaincue que les États-Unis n’enverraient jamais un soldat dans le vieux monde, elle avait multiplié contre eux les insolences et les défis. En France même, beaucoup de gens qui manquaient d’imagination et ne croyaient possible que le déjà vu, ne cachaient pas leur incrédulité, lorsqu’on disait en leur présence que la guerre sous-marine, telle que la pratiquait l’Allemagne, finirait par faire perdre patience à l’Amérique et qu’un jour les États-Unis apporteraient leur puissant concours aux défenseurs de la liberté. Même après que le Président Wilson eut pris sa décision, le scepticisme a persisté et jusqu’à l’hiver de 1917-1918, les défaitistes, appuyés par des auxiliaires imprévus, ont pu continuer leurs manœuvres souterraines, en répandant le bruit qu’il ne viendrait jamais en France qu’un petit nombre de divisions américaines, mal équipées, inexpérimentées et incapables d’un sérieux ef-fort militaire. Il est cependant arrivé, par centaines de mille, d’admirables soldats recrutés dans toutes les régions de l’Amérique et, au mois de juillet 1917, le Président Woodrow Wilson, me confirmant son message du 11 avril précédent, me télégraphiait qu’il était résolu à envoyer en France une armée assez forte pour submerger l’Allemagne, overivhelming. A ce moment, le général Pershing était déjà notre hôte, mais c’était presque un général sans troupes. Je me rappelle la première fois que j’ai eu le plaisir de le recevoir. Il avait produit sur moi la meilleure impression par son élégance, sa bonne grâce et sa simplicité ; mais il portait en lui un redoutable inconnu. Quelle serait sa valeur stratégique ? Et à quelles troupes aurait-il à commander ? Dès le mois d’août suivant, un petit noyau d’armée commençait à se former et le 6 septembre, lorsque je me rendis au quartier général américain, pour y célébrer le double