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Chronique31 mai 1921

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

La mort subite de M. Milenko Vesnitch, ministre du jeune royaume uni des Serbes, des Croates et des Slovènes, n’a pas seulement été un grand deuil pour son pays ; elle a profondément affligé en France tous ceux qui ont vu à l’œuvre l’éminent diplomate, depuis qu’il a été, en 1904, accrédité auprès du gouvernement de la République. M. Vesnitch revenait alors d’assez loin. Il avait connu, depuis sa naissance, des fortunes diverses. Son père, qui était Serbe, mais habitait dans le Sandjak de Novi-Bazar, y avait été assassiné par les Turcs. Sa mère s’était réfugiée à Belgrade. Elle avait donné tous ses soins à l’éducation du fils qui était sa consolation et son espoir. Elle l’avait envoyé faire de solides études juridiques en Allemagne et en France et, lorsqu’il était rentré en Serbie, il avait lui-même enseigné le droit interna-tional à Belgrade. Élu, de très bonne heure, membre de la Skoupchtina, il était devenu ministre de l’Instruction publique à vingt-neuf ans, et déjà il semblait appelé à de glorieuses destinées, lorsque le roi Milan interrompit tout d’un coup cette carrière si heureusement commencée. Le roi Milan aimait beaucoup Paris et, chaque fois qu’il y séjournait, il y faisait, entre deux parties de chasse, au gouvernement de la République les déclarations les plus rassurantes. Mais il suivait avec une silencieuse ténacité une politique austrophile et antirusse, qui n’était pas celle de M. Vesnitch. Celui-ci, qui n’a jamais eu d’autre rêve que la délivrance des populations serbes et leur réunion en un même Etat souverain, n’hésita point à combattre un régime qu’il considérait comme funeste. Le roi Milan Obrénovitch, que n’étouffaient pas les scrupules, trouva très simple de le faire arrêter en 1899 avec les autres chefs du parti radical serbe et de l’impliquer dans un complot. M. Pachitch, président actuel du Conseil, et M. Vesnitch furent tous deux condamnés à quinze ans

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.