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mari. Cela naturellement et régulièrement. C’est l’habitude et la routine. Rien n’égale la placidité de Limerot, si ce n’est la bonne conscience de Mme Rombier. Ces deux amis trompent le troisième sans cesser pour cela d’aimer ce troisième ami de tout leur cœur.

Au second acte, Rombier, retour de Briançon, est averti par une lettre anonyme. Il n’a jamais rien soupçonné, et il pense d’abord que la lettre est pour un autre. Mais les renseignements sont si personnels, les détails si pré-cis, l’évidence si aveuglante, qu’il est obligé de s’y rendre. D’ailleurs, le coupable avoue : Limerot est trop l’ami de Rombier pour ne pas lui avouer toute la vérité. Alors se pose pour Rombier un terribles cas de conscience : un accident, en somme des plus ordinaires, doit-il interrompre le cours d’une si rare amitié ? N’est-ce pas, ou jamais, le cas de pardonner ? D’autant que Rombier, dont c’est la fête, n’est pas sans savoir que la meilleure des femmes et le plus attentionné des amis lui ont préparé un dîner de circonstance et de menus ca-deaux. L’amitié l’emporte. Les trois bons amis se mettent à table. Soudain, remordu par la jalousie, Rombier se jette sur Limerot. Il est le plus fort, sans comparaison possible. Et tandis que le rideau baisse, nous voyons l’hercule bourrer de coups de poing le gringalet gisant à terre.

Quand la toile se relève, Limerot a la tête bandée et un œil en compote, que Rombier lui bassine avec une sollicitude affectueuse et des soins maternels. Effet de scène qui est une trouvaille et fait tourner la pochade à la comédie. Nous voilà renseignés abondamment sur la psychologie du trio. Rombier est prêt pour recevoir les explications lumineuses de Clémentine, qui lui prouvera, clair comme le jour, qu’il a rêvé. Il lui restera à convenir qu’il s’est trompé et à s’excuser de son emportement. La vie reprendra, comme par le passé, mieux que par le passé, le seul obstacle à la paix du ménage étant désormais écarté et Rombier à jamais revenu de tout soupçon. Ces dénouements pacifiques, que le Théâtre Libre croyait avoir inventés, sont l’ordinaire et la règle de notre vieux théâtre.

Ce qu’on ne peut rendre, c’est le mouvement qui emporte ces trois petits actes, le comique plantureux de presque toutes les scènes et le perpétuel rejaillissement de bonne humeur.

La pièce est très bien jouée dans la manière bon enfant qui s’imposait. M. Asselin est plein de bonhomie et de rondeur dans le rôle de Rombier. M. Groullet fait à souhait de Limerot un type de rachitisme et de pleutrerie sournoise. Et Mlle Corciade a joué avec beaucoup d’esprit et de naturel avisé le rôle de Mme Rombier.