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Bacchus, le conquérant de l’Inde, qui fait défection et retire à Antoine son concours mystique. J’ajoute que la versification de M. Hérold est des plus honorables : on saisit au passage plus d’un vers bien venu. Pourtant l’accueil a été des plus froids. Les jugements du public sont sans nuances. Tandis qu’il a dépensé des trésors d’indulgence pour des ouvrages qui n’étaient pas très supérieurs à celui-ci, il s’est montré sévère à la pièce consciencieuse de M. Hérold et n’en a voulu voir que les défauts.

La raison en est d’abord que M. Hérold n’a pas su prendre assez nettement parti. La vieille discussion entre classiques et romantiques n’est pas simple querelle d’école. Ce sont deux formes de l’art entre lesquelles le goût oscille et qui s’excluent parfaitement. M. Hérold a hésité entre Corneille et Shakspeare. Ce sont deux puissants dieux entre lesquels il faut choisir. Le second acte, la discussion politique, est tout cornélien. Chose curieuse, c’est le seul qui ait réussi. Il est vrai que c’est le seul qui ait été bien joué. On peut se demander s’il n’eût pas mieux valu que toute la pièce fût conçue dans cette manière abstraite et dépouillée. Le reste du temps M. Hérold a pris son inspiration dans Shakspeare, mais avec quelle timidité ! Il eût fallu prodiguer la couleur, multiplier les épisodes, heurter les contrastes, exaspérer la violence. On en a voulu à l’auteur de sa sagesse extrême.

On lui en a voulu surtout de ne rien apporter qui eût tout au moins l’apparence et donnât l’illusion du nouveau. Jamais plus qu’aujourd’hui on n’avait été avide de nouveauté, et rarement on en avait été aussi dépourvu. Nous sommes au lendemain de la guerre et, à tort ou à raison, nous imaginons que la guerre, qui a changé tant de choses, doit avoir renouvelé les conditions et les formes de l’art. On ne réfléchit pas que les révolutions en art sont lentes et d’abord insensibles. On s’impatiente. Une œuvre qui donne l’impression de « dater, » est par cela seul condamnée.

Ce qui ajoute à cette impression, c’est l’interprétation. La Comédie-Française a mis à la disposition de M. Hérold ses meilleurs artistes : ce sont presque tous des vétérans. Cela même ne laisse pas d’être inquiétant. Derrière les chefs d’emploi, éprouvés et chevronnés, on regrette de ne pas apercevoir une jeune troupe, qui, pour premier mérite, aurait sa jeunesse même. Le succès fait à M. Jean Hervé dans le rôle d’Octave est une preuve de ce désir du public. Il ne demande pas mieux que de rester fidèle à ses admirations anciennes et de continuer sa confiance aux vieilles troupes ; mais il voudrait qu’on y adjoignit quelques Marie-Louise.