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afin de délivrer leur seigneur de la captivité ? Par tout ce qu’il contient de garanties morales, par sa religion de l’honneur et de la foi jurée, par sa pure notion de la fraternité, un tel régime est grand : il porte en lui des germes féconds d’avenir, qui sont tout prêts à se développer, et qui vont en effet se développer, autour des idées d’unité et de contrat, par la restauration de l’Etat, par l’émancipation du peuple, par la lutte contre l’impérialisme, grâce à un lent travail collectif de la nation, d’autant plus durable qu’il est moins artificiel. Tel est le sens de ce grand siècle religieux, le onzième, qui s’ouvre avec la paix de Dieu et que clôt la Croisade.

L’Etat renaît. Chez les grands féodaux aussi bien que chez le Roi, justicier suprême en qui s’unissent, dans un parfait équilibre, la suzeraineté et la souveraineté, dans les petites patries, qui font la richesse et la variété de la civilisation française, aussi bien que dans la grande, qui en assure l’unité, l’idée apparaît, nette et claire, que le gouvernement est un office, dont la fin est le règne de la paix et de l’équité. Le monde féodal tout entier s’inspire de cette conception, qu’incarne le pouvoir royal, représenté durant trois cents ans par une succession de grands souverains, servi par de grands ministres, et singulièrement aidé par la complicité des événements.

A cette renaissance par le haut répond une renaissance par le bas. En même temps que se forme l’Etat, le peuple conquiert une à une toutes les libertés, grâce à l’extension du régime contractuel aux villes, aux paroisses, aux communautés de paysans, aux groupements professionnels, ces « fraternités du travail, » aux communes, ces « conspirations d’aide mutuelle : » mouvement remarquable entre tous, révolution telle qu’il n’en est pas « de plus grande dans notre histoire, » que les circonstances économiques favorisèrent sans doute, mais qui naquit d’abord d’une idée morale et religieuse, qu’on vit éclore spontanément et simultanément, comme par l’effet d’une force créatrice, sur tous les points du territoire, et à laquelle collaborèrent le peuple des villes et des campagnes, les seigneurs, l’Eglise, le Roi. La société féodale n’avait eu qu’à s’ouvrir pour devenir une société démocratique ; sa diversité s’était ordonnée d’elle-même en groupes qui n’étaient pas des castes (car le clergé se recrutait parmi les serfs, et le bourgeois pouvait acquérir des fiefs) ; toutes les volontés individuelles, comme toutes les forces