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d’un même esprit qui, en son fond, demeure insaisissable et ne se manifeste que dans l’ordre même de son développement. Ce sens, M. Imbart de la Tour le possède au plus haut degré : c’est là ce qui fait l’intérêt unique de son histoire.

Les épisodes du drame s’enchainent d’une manière continue ; mais cette continuité n’est pas celle d’une évolution mécanique se déroulant sur une seule ligne ; c’est la continuité d’un rythme, où se traduit un développement spontané, qui a ses avances et ses reculs, ses moments de crise et ses périodes d’arrêt, les uns comme les autres nécessaires à la vie de cette grande personnalité morale, le peuple français, qui apparaît d’un bout à l’autre comme le protagoniste du drame. « Tout est un, tout est divers, » a dit Pascal. L’histoire de ce peuple se diversifie à l’infini : c’est que « l’histoire ne se répète pas ; » nul homme ne peut refaire ce qu’a fait un autre homme : s’il en reproduit les gestes, il n’en peut reproduire l’âme ; « eussent-ils réussi à refaire l’édifice, les Mérovingiens n’en eussent restauré que la façade, non le plan, la symétrie savante, la distribution intérieure. » Le temps ne se parcourt point, comme l’espace, en tous sens ; il entraine les nations et les individus vers leurs destinées, et nulle page ne ressemble aux pages qui l’ont précédée. Cependant, un fil invisible relie toutes les pages de cette histoire ; et ce fil, c’est l’âme du peuple, c’est sa vie morale.


Ainsi à travers les générations qui passent s’entrevoit la perpétuité d’une nation, comme au-dessus des règnes qui se suivent domine la continuité d’un même pouvoir... Longue chaîne d’efforts, brisés par des ruptures, suite inégale d’étapes, retardées par des reculs, l’unité française a été une création continue. Elle fut, tout autant, une création collective : un ordre, non imposé d’en haut et par un seul, mais librement voulu de tous, l’œuvre conjuguée du Roi et de la nation, et comme le fruit de ses entrailles, au terme d’un long et douloureux enfantement... Notre histoire est un rythme où alternent les temps désordonnés et les développements harmoniques. Tel un thème puissant, notre vie nationale se perd et reparaît, se brise et se reforme, toujours plus riche, plus large dans chacun de ses retours.


J’ai tenu à citer ces formules frappantes, parce qu’elles révèlent, chez leur auteur, une vue extraordinairement précise