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Karl Marx et ses innombrables disciples, obstinément attachés, malgré l’apparence, à une idéologie abstraite et artificielle, et qui pensent avoir expliqué un mouvement historique, comme l’apparition d’une croyance nouvelle, lorsqu’ils l’ont relié à ses origines ou à ses conditions matérielles. Quel est le fait économique qui rendra compte du christianisme ?

M. Imbart de la Tour n’a pas cédé à ces illusions décevantes. Et c’est pourquoi encore, à l’inverse des productions de l’idéologie matérialiste, son livre est très peu livresque. On y respire à l’aise : on ne s’y meut point au milieu de concepts ou de mots ; on y vit parmi des hommes, dans l’atmosphère subtile et fine de notre pays de France, au contact de ce bon peuple à qui nous devons le meilleur de nous-mêmes. Pour le connaître en son intimité, l’historien a puisé à toutes les sources où ce peuple a laissé quelque chose de soi : il a puisé surtout à la source la plus riche et la plus sûre, comme aussi la plus négligée, je veux dire à la tradition vivante qui se perpétue dans le peuple même, parce que le peuple, suivant l’expression du génial penseur espagnol Angel Ganivet, garde en lui « le dépôt et les archives des sentiments fondamentaux et inexprimables d’un pays. » De son Morvan, bastion de la vieille Gaule, M. Imbart de la Tour a observé longuement et amoureusement le peuple de France, et je ne serais pas surpris qu’il eût découvert là le secret qu’aucun des documents écrits n’eût pu lui révéler, le sens caché qui les explique et les illumine, — les témoins immuables, et les juges, de l’évolution qu’ils décèlent : tels ces très vieux chênes, derniers survivants de la forêt gauloise que défrichèrent les moines ; solidement implantés dans le granit de nos provinces du Centre, ils marquent aujourd’hui encore les bornes des champs, qui varient moins que les frontières des États, et les haies qui jadis leur étaient adossées ont été refoulées de quelques pouces par le vent d’Ouest, tandis qu’ils demeuraient immuablement enracinés au sol où le paysan, depuis des siècles, trace le même sillon.

Celui qui a rempli ses yeux et son âme de la contemplation de tels spectacles, celui qui a vécu dans la familiarité de ces choses et de ces êtres, ne peut manquer d’y acquérir le sens de la perpétuité du peuple, c’est-à-dire de cette unité vivante qui se maintient, de génération en génération, à travers les institutions et les régimes, expressions successives, et parfois opposées,