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malheureux : « Que fait-il donc, répond Saint-Saëns, du célèbre nocturne en ré bémol ? » Il s’étonne également qu’on l’accuse, (Chopin), « d’avoir parfois peint la vie mondaine. C’est à peindre comme autre chose, et, si la peinture est bonne, cela suffit. Telle est l’Invitation à la valse, sur laquelle, dans le Freischütz, on nous fait danser des paysans, ce qui est absurde. Par bonheur, cette absurdité nous a valu l’orchestration de Berlioz. »

À propos de Wagner : « Ne soyons pas ingrats pour le grand Richard. »

Sur Haensel et Gretel, de Humperdinck : « J’ai été choqué… de voir employer, pour des scènes enfantines, les procédés créés par Richard Wagner pour les entretiens des héros et des dieux. Disproportion entre les moyens et le but n’est pas le fait d’un chef-d’œuvre. Mais que le second tableau néanmoins est délicieux ! »

Un jour nous avions rapporté ce propos de Gounod : « Saint-Saëns ! Il avait cinq ans qu’il manquait déjà d’inexpérience. » Et Saint-Saëns de rectifier en ces termes : « Permettez-moi de vous dire que ce n’est pas à cinq ans, mais à dix-huit ans que je fus accusé si joliment par Gounod de manquer d’inexpérience. À cinq ans, j’avais encore, vous pouvez m’en croire, quelque chose à apprendre. Maintenant c’est tout, que j’aurais à apprendre. Car, dans l’art comme dans les sciences, plus on avance dans la carrière, plus on s’aperçoit que ce que l’on sait n’est rien auprès de ce qu’il faudrait savoir.

« Je n’ai connu Gounod qu’à son retour de Rome. Il voulait bien me donner des conseils, et je me souviens de lui avoir soumis, vers ma quinzième année, une symphonie terriblement inexpérimentée. Mais Gounod aimait à faire des « mots, » et, comme ses mots étaient charmants, on ne saurait les lui reprocher. »

Autant que des opinions particulières, on pourrait extraire de la correspondance d’un Saint-Saëns une de ces idées générales dont parlait Brunetière. Mais celle-là, Brunetière assurément l’eût réprouvée. Aussi bien ce n’est point ici le moment d’ouvrir, ou de rouvrir un débat esthétique et de montrer le grand musicien plus fidèle, — heureusement, — en théorie qu’en pratique à la doctrine de l’art pour l’art et d’une musique volontairement insensible. Il suffit de reconnaître, — et Saint-Saint-Saëns le premier s’en contentera, — que dans son art les