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sentit ses forces décliner brusquement, et bientôt les médecins le déclarèrent atteint d’hydropisie.

Le 22 février 1709, il mourut très pieusement dans son hôtel du quai Conti, assisté du Père de La Tour et de l’abbé Fleury, à l’âge de quarante-cinq ans. On l’enterra dans l’église Saint-André-des-Arcs. Massillon prononça l’oraison funèbre, et Nicolas Coustou fit le tombeau.

Suivant l’expression triviale du marquis de Lassay, le défunt était parti, « sans avoir déballé toute sa marchandise, » sans avoir montré le fond de sa boîte, où ses contemporains croyaient qu’il y avait tant d’étoffes précieuses et rares, tant de diamants, de joyaux et de perles. Comme un Germanicus, comme un Duc de Bourgogne, il ne fut que l’espérance des peuples un instant entrevue, jamais réalisée, le héros idéal dont on attendait tout, qui avait reçu tous les dons, à qui il manqua, pour mettre en valeur des qualités incomparables, ce qui est plus nécessaire que les qualités elles-mêmes, une heureuse conjoncture des circonstances, le sourire du sort. Peut-être une vie plus longue eût-elle apporté des déceptions à ses admirateurs. Lassay l’a dit de Conti, on l’a dit du Duc de Bourgogne. Nous ne lui reprocherons pas de n’avoir rien accompli. Sa figure charmante demeure au second plan de l’histoire, image atténuée de celle de Condé, mais plus douce, plus aimable, comme les grâces de Massillon après les splendeurs de Bossuet. Il n’eut, pour continuer sa race, qu’un fils d’une laideur hideuse, brutal et détesté. Dans une galerie de tableaux consacrés aux princes de sa maison, il apparaît entre un père bossu et un fils contrefait, et sa figure s’embellit de toute leur disgrâce.

C’est ainsi que le voit la postérité, remarquant à peine le frère aîné, si brave en Hongrie, et, dès son retour en France, enlevé par la petite vérole à l’âge de vingt-six ans. Elle aperçoit, il est vrai, plus avant, dans le dix-huitième siècle, à la cour de Louis XV, le petit-fils, bel homme lettré et artiste, général distingué, et qui brigua lui aussi la couronne de Pologne. Mais elle se scandalise devant les amours innombrables, l’impiété, la sinistre impénitence de ce Lovelace. A ses yeux, le brillant héros, qui enchantait les courtisans de Louis XIV et rendait jaloux le Roi lui-même, François-Louis de Bourbon, prince de Conti, demeure toujours le Grand Conti.


LA FORCE.