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le Roi avait parlé, ne souffrant pas que le prince de Conti fit allusion au temps malheureux de sa disgrâce ; louant l’amitié de Monseigneur pour le prince de Conti ; manifestant l’espoir que le nouveau roi de Pologne voudrait bien traverser l’Europe pour venir voir le roi de France ; n’oubliant « rien de ce qu’il y a de plus tendre et de plus gracieux ! »

En quittant Dangeau, le prince de Conti alla dîner avec Monseigneur. Il reçut chez le Dauphin un accueil plus empressé encore que chez le Roi. « J’avoue, lui dit Monseigneur, que je suis au désespoir que nous nous séparions, quoique je sois bien aise de penser que votre mérite va être récompensé, et que vous allez être un des plus grands rois du monde. »

Saint-Simon ne s’est pas laissé attendrir, comme Dangeau, par tant de bonnes paroles. Il croit avoir pénétré au fond des cœurs, découvert ce que cachait l’aimable sourire des visages. Il nous montre Louis XIV ravi, délivré glorieusement « d’un prince à qui il n’avait jamais pardonné le voyage de Hongrie, beaucoup moins l’éclat de son mérite et l’applaudissement général que, jusque dans sa cour, et sous ses yeux, il n’avait pu émousser par l’empressement même de lui plaire et la terreur de s’attirer son indignation, ne pouvant cacher sa joie et son empressement de le voir éloigné pour toujours. On distinguait aisément, nous dit-il, ce sentiment particulier du faible avantage d’avoir un prince de son sang à la tête d’une nation qui figurait peu parmi les autres du Nord et qui laissait encore moins figurer son roi. »

Voici Monseigneur « un peu touché, » heureux du bonheur d’autrui, mais incapable de secouer son apathie ; M. du Maine, « transporté au fond de l’âme d’une délivrance si grande et si peu espérée, » s’efforçant de prendre une attitude convenable ; « Monsieur et Monsieur son fils assez aises ; » Mme de Maintenon « triomphant dans ses réduits ; » Monsieur le Prince sensible à la gloire d’une couronne pour un gendre qu’il estimait et qu’il ne se pouvait empêcher d’aimer ; » Monsieur le Duc « nageant entre la rage et la jalousie d’un mérite si supérieur et récompensé comme tel par un choix si flatteur, et la satisfaction de se voir à l’abri du sentiment journalier des pointes de ce mérite et d’autres encore plus sensibles à un mari de son humeur ; » Madame la Duchesse obligée de « prendre part à une gloire si proche, à la joie du Roi, à celle de sa famille qui l’observait dans tous les moments,