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avant le 15 août, et le parti français, qui a signé une protestation à Rava contre son élection, tremble d’apprendre qu’il est couronné. « Alors, disent ces dévoués partisans du prince de Conti, Frédéric-Auguste payera l’armée ; il disposera de toutes les charges vacantes et nous ruinera de fond en comble, avant même que nous ayons appris si Louis XIV veut ou non nous protéger. »

Un pareil tableau n’était guère attrayant. Au commencement du mois d’août, le prince de Conti en avait une partie sous les yeux. Bien qu’il eût reçu, le 9 août, une lettre du cardinal-primat lui notifiant officiellement son élection et deux lettres de deux palatins, il trouvait l’empressement de ses amis trop médiocre pour se décider à quitter la France. Mais, le 30, les nouvelles étaient meilleures ; et, le soir même, Dangeau notait dans son journal : « M. le prince de Conti croit qu’il doit aller soutenir son parti ; le Roi approuve sa résolution. »


Le surlendemain, dimanche 1er septembre 1697, les courtisans, qui attendaient, à Versailles, l’heure de la messe, virent le prince de Conti sortir du cabinet du Roi, les larmes aux yeux, « Était-ce un adieu ? » Les courtisans se le demandaient les uns aux autres. Leur curiosité ne souffrit pas longtemps, et le plus curieux de tous, Dangeau, eut la fortune, — insigne pour un chroniqueur, — de causer avec l’interlocuteur de Louis XIV, de recueillir toutes fraîches ses impressions. Oui, le prince de Conti s’en allait ; il quittait Paris le mardi suivant ; il devait être à Dunkerque le jeudi matin. Le Roi lui confiait deux millions quatre cent mille livres ; il lui donnait cent mille francs pour son équipage ; il commandait au chevalier Bart de le conduire à Dantzick avec sa flotte de cinq frégates, malgré la croisière anglaise, et, en cas d’insuccès en Pologne, de le ramener en France.

Dangeau gravait dans sa mémoire tous les détails de l’entretien. Le prince de Conti avait supplié Louis XIV de ne pas traiter la princesse de Conti en reine, avant qu’il fût « roi paisible ; » il ne voulait pas d’un rang qui pût embarrasser Sa Majesté ; s’il était obligé de revenir, il se trouverait toujours « assez honoré d’être prince de son sang. » Avec quelle noblesse, quelle sagesse, quelle obligeance, quelle estime, quelle confiance