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pas le droit de l’avoir acquise, si l’on ne vous y a pas autorisé. Vous n’aviez pas le droit de commencer vos études ; donc elles sont non avenues. — Que deviennent la liberté et le bon sens dans tout cela ?

Tel est en effet le malaise que nous ne cessons d’éprouver, et qui nous défend contre tout ce que cet effort pour extraire l’élite du peuple a de séduisant et de généreux : la méthode est trop artificielle et trop autoritaire. Il faut aider la nature, puisque la sélection naturelle donne des résultats insuffisants, mais faut-il la brusquer et la contraindre, et tenir si peu de compte de ses lois à elle, et des surprises d’une évolution qui en ménage tant aux psychologues de l’enfance les mieux informés et les plus pénétrants ? J’admire et je redoute ces juges infaillibles des intelligences enfantines dont les jugements, même quand ils sont fondés pour aujourd’hui, risquent de ne pas l’être pour demain. Ils n’ont donc jamais été examinateurs ceux qui ont tant de confiance dans les examens. Laissez au moins subsister la soupape de la liberté, laissez aux parents des responsabilités trop lourdes pour l’Etat. Ouvrez vos portes, mais ne les fermez jamais. Il resterait encore que cette conscription de l’enfance, comme on l’a dit, (et la comparaison avec un conseil de révision est dans le projet de loi même, cependant plus discret et plus modéré que les gloses et les amendements déjà annoncés,) a quelque chose de vraiment intolérable. La guerre nous a habitués aux méthodes militaires. Mais quand nous aurons repris notre tempérament du temps de paix, il nous en coûtera d’amener nos enfants, à douze ans, devant une commission qui les reconnaîtra « bons pour le service, » ce nouveau service obligatoire, l’étude, que l’amour-propre flatté et l’ambition feront accepter sans doute, ou bien les renverra avec cette estampille ineffaçable : inaptes, et, — déjà ! — réformés. Ces risques ne sont-ils pas les risques courants de l’examen des bourses ? Oui, mais, à cet examen se présente qui veut. Tout est là.

Il n’est pas jusqu’aux procédés d’expertise au moyen desquels on se propose de vérifier les aptitudes de nos enfants qui ne nous inspirent une défiance supplémentaire. Un psychologue français, M. Binet, a imaginé, il y a quelques années, des épreuves qui substituent à l’appréciation personnelle d’un maître une sorte de mesure mathématique de telle ou telle faculté intellectuelle. La mémoire se prête en particulier à ce