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il y a, lie par une invincible solidarité les familles, les nations et tous les groupements humains. M. Fouillée a cruellement raillé, dans ses conséquences et ses conceptions pédagogiques, ce qu’il appelle une démocratie sociale mal entendue. « Elle veut, dit-il, le système de la table rase. Elle voudrait, sous prétexte d’égalité, faire recommencer chaque génération ab ovo. Il n’y aurait qu’un moyen : prendre tous les enfants nouveau-nés, les arracher à leurs parents, les distribuer au hasard aux quatre coins de l’horizon, leur donner le même enseignement…. après quoi on les ferait tous concourir. » On créerait ainsi une aristocratie de mérite toute viagère. Et tout serait à recommencer à chaque génération. Encore ne peut-on aller au bout du système. Car nous naissons Français au lieu de naître Esquimaux, et cela constitue une chance, partant une injustice. Et M. Fouillée se demande si le véritable intérêt social commande ainsi de vouloir les supériorités éphémères, au lieu de les fixer, et de les rendre plus productives, en vertu de cette fixité même. — Nous invoquions déjà l’intérêt social, il y a quelques instants. Mais il parlait alors un langage différent de celui que M. Fouillée a cru entendre. Où est le véritable intérêt ? Où est aussi la vraie justice ?

Individu et société, l’histoire de la philosophie sociale est pleine de l’opposition de ces deux termes, cependant solidaires. Il n’y a pas de société sans individu, et aussi, ajoute-t-on avec autant de vérité, sinon autant d’évidence, pas d’individu sans société. Mais, selon que l’on fait pencher la balance, en attachant plus de prix à l’indépendance et à la valeur de l’individu, ou à la solidité des groupes qui l’encadrent, on rompt un difficile équilibre, et on entre dans un interminable débat. L’humanité rompt l’accord des lois qui la régissent en réfléchissant sur elles. Ce mot de loi lui-même est ambigu. « La loi morale est aussi loi naturelle, » dit M. Fouillée. Mais on peut dire, avec une égale vraisemblance, que la loi morale a pour raison d’être de se dresser contre la loi naturelle et de faire émerger la société de la nature. Et la difficulté se complique encore de ce que, dans les lois naturelles, il y a des éléments tout pénétrés de moralité. La famille, par exemple, est-elle d’ordre naturel ou d’ordre moral, ou de l’un et de l’autre à la fois ? En tout cas, il n’y a pas d’individualiste qui n’accepte au moins de voir ses fils hériter de ses vertus et de ses talents. C’est que le cœur a ses