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l’importunaient. Mais les parfaits, pour l’avancement, ont besoin de l’humilité.

Une question fort grave occupait son esprit, et, sans doute, dans cette retraite de la fin de 1903, il l’avait étudiée jusqu’au fond, mettant en regard les unes des autres, et par écrit, les raisons pour et les raisons contre.

On se souvient que Frère Charles avait demandé à M. Huvelin, au commandant Laperrine, à Mgr Guérin, chacun ayant un titre particulier à être interrogé, la permission d’aller en reconnaissance dans le Touat et le Tidikelt, de s’établir, éventuellement, parmi les Touaregs, ou ailleurs, sans abandonner tout à fait Béni Abbès, où il reviendrait et ferait des séjours. L’ermite aurait plusieurs hôtelleries dans le désert. La dernière autorisation, celle de « l’évêque du Sahara, » lui était parvenue le 29 août. Quelques jours plus tôt, il avait reçu une lettre du commandant Laperrine, le pressant de se mettre en route, et ajoutant : « Je crois qu’il y a beaucoup de bien à faire, car, si l’on ne peut espérer des conversions tout d’un coup, faire accepter le dogme, on peut, par l’exemple et le contact journalier, mettre en évidence la morale chrétienne, et la répandre. »

Les combats de Taghit et d’El Moungar ne permirent pas à Frère Charles d’exécuter le projet. Il dut se lancer sur une piste qui n’était pas celle du pays Hoggar. Mais, à la fin de l’année, au moment où il sortait de retraite, la rébellion paraissant calmée, il se demanda de nouveau : où est le devoir ? Contrairement à ce que nous serions tentés, de croire, l’idée de s’enfoncer plus avant dans le désert ne lui plaisait pas, ou, plus justement, si le voyage, l’aventure, la conquête des âmes, la haute ambition surtout de porter Jésus-Christ parmi les peuplades nouvelles tentaient l’imagination et le grand cœur de l’apôtre, le regret de quitter Béni Abbès le tirait en arrière. Qu’allaient dire ces gens dont il était « adoré, » indigènes ou soldats ? Et que deviendrait l’œuvre commencée ?

« J’ai une grosse incertitude, au sujet du voyage que j’avais projeté dans le Sud, dans ces oasis du Touat, Tidikelt, qui sont absolument sans prêtre, où nos soldats n’ont jamais la messe, où les musulmans ne voient jamais un ministre de Jésus... Vous vous rappelez qu’ayant reçu les trois autorisations de vous, de Mgr Guérin, des autorités militaires, j’allais partir en septembre, lorsque j’ai été appelé à Taghit auprès des blessés...